Deux
mots sur les moules.
Les moules sont
des objets on ne peut plus concrets et banals : ce sont
de simples fonctions d'un ``nombre variable de variables";
ou si l'on préfére, des fonctions définies
sur un monoide. Mais là-dessus viennent se greffer:
- trois opérations
de base, plus une douzaine de secondaires.
- quatre grands types
de ``symétrie" ou d'``alternance", plus une douzaine
de secondaires
- une panoplie de régles
et recettes simples, qui disent comment telle ou telle
opération affecte , conserve, transforme, etc...,
telle ou telle propriété
- une transformation
de grande portée, l' arborification
, qui sert surtout à rendre convergents
des séries mouliennes divergentes, mais qui
possede aussi la propriété inattendue de ``respecter"
l'expression analytique des principaux moules utiles
- et enfin, bien sur,
un bestiaire de quelque trente moules fondamentaux,
qui surgissent et resurgissent un peu partout, soit directement,
soit comme ingrédients ou pièces
détachées à partir desquelles sont constuits
les moules secondaires, en quantité indéfinie.
Aussi élaboré
que puisse paraitre cet appareil, il reste malgré
tout décidément élémentaire
dans ses ressorts. Aussi est-il trompeur, à mon avis
, de parler d'une théorie des moules. On
serrerait sans doute la vérité de plus près en parlant
à leur propos d'un système de notations
tres compactes, doublé d'un mode d'emploi sophistiqué
, qui permet souvent de poursuivre les calculs meme là
où la complexité des expressions à manier semblerait
redhibitoire. Il y a donc un calcul moulien. On peut
meme, si l'on veut, parler d'un état d'esprit moulien:
c'est la mentalité de celui qui ne se contente pas de théorèmes
généraux (d'existence, d'unicité etc) nous
laissant sur notre faim, mais qui délibérément
recherche l'explicite, car il sait par expérience
que c'est presque toujours possible, toujours payant, et souvent
indispensable dès qu'on vise dès résultats
tant soit peu précis, ou qu'on a le souci de dégager des
objets canoniques au sein d'une vaste classe. Et l'on pourrait ajouter
que c'est là une démarche typiquement analytique,
qui permet de cerner, puis de sérier, puis de vaincre, les
difficultés qui se présentent, en les examinant tour
à tour pour les composantes de longueur 1, 2, 3 etc, jusqu'à
ce que les mécanismes en jeu se dévoilent et livrent
la solution générale.
C'est pécisément
cette démarche qui a permis, en théorie
KAM, de dissiper la chimère des petits diviseurs
surmultiples, qui n'ont aucune espèce d' existence,
mais qui hantaient la théorie depuis son origine.
Il en va de meme pour l'analyse
des objets analytiques locaux ( champs de vecteurs,
difféomrphismes, équtions ou systèmes
différentiels ou fonctionnels,... ) et en particulier
de leurs invariants holomorphes. Ces derniers sont
souvent réputés ``non-calculables", alors qu'ils
le sont éminemment - grace aux moules.
Les moules interviennent
aussi en théorie de la résurgence,
où d'ailleurs ils prennent leur origine, car c'est là
un contexte typiquement non-commutatif, qui à chaque pas
requiert des indexations sur le monoide librement engendré
par C.
Il y a aussi tout le champ
des fonctions spéciales et sa ``complétion
naturelle", qui est le champ des moules spéciaux.
Expliquons-nous. L'Analyse du 19me siècle avait
pour idéal la résolution explicite des équations
(différentielles, etc) au moyen d'un certain nombre
de fonctions spéciales, répertoriées,
décrites et tabulées une fois pour toutes. Mais cela
s'est vite révélé impraticable, car aucune
collection de fonctions spéciales n'y suffisait. Aussi
l'optique a-t-elle changée et, pour la common wisdom
du 20me siècle, le `but' au contraire était
de trouver des algorithmes de résolution. C' était
un progrès, mais un recul aussi : on perdait en transparence
ce qu'on gagnait en généralité. Heureusement,
les deux choses sont conciliables : si le champ des fonctions
spéciales est trop petit pour ``tout exprimer", le champ des
moules spéciaux, lui, y suffit, tout en incorporant l'aspect
algorithmique, vu le mode de définition, par récurrence
sur la longueur, de la plupart des moules spéciaux.
Qui dit fonctions spéciales
dit aussi constantes trancendantes spéciales
: les deux choses vont de pair. Là aussi, les moules
sont l'outil idoine. C'est le langage naturel dans lequel
se construit le corps dénombrable Na des naturels,
qui contient (presque) toutes les constantes transcendantes
naturelles, à commencer par les multizetas,
pour qui les principales conjectures viennent d'etre résolues,
par une démarche qui, du début à la fin,
utilise le langage des moules.