Deux mots sur les moules.


Les moules sont des objets on ne peut plus concrets et banals : ce sont de simples fonctions d'un ``nombre variable de variables"; ou si l'on préfére, des fonctions définies sur un monoide. Mais là-dessus viennent se greffer: Aussi élaboré que puisse paraitre cet appareil, il reste malgré tout décidément élémentaire dans ses ressorts. Aussi est-il trompeur, à mon avis , de parler d'une théorie des moules. On serrerait sans doute la vérité de plus près en parlant à leur propos d'un système de notations tres compactes,  doublé d'un mode d'emploi sophistiqué , qui permet souvent de poursuivre les calculs meme là où la complexité des expressions à manier semblerait redhibitoire. Il y a donc un calcul moulien. On peut meme, si l'on veut, parler d'un état d'esprit moulien: c'est la mentalité de celui qui ne se contente pas de théorèmes généraux (d'existence, d'unicité etc) nous laissant sur notre faim, mais qui délibérément recherche l'explicite, car il sait par expérience que c'est presque toujours possible, toujours payant, et souvent indispensable dès qu'on vise dès résultats tant soit peu précis, ou qu'on a le souci de dégager des objets canoniques au sein d'une vaste classe. Et l'on pourrait ajouter que c'est là une démarche typiquement analytique, qui permet de cerner, puis de sérier, puis de vaincre, les difficultés qui se présentent, en les examinant  tour à tour pour les composantes de longueur 1, 2, 3 etc, jusqu'à ce que les mécanismes en jeu se dévoilent et livrent la solution générale.

C'est pécisément cette démarche qui a permis, en théorie KAM, de dissiper la chimère des petits diviseurs surmultiples, qui n'ont aucune espèce d' existence, mais qui hantaient la théorie depuis son origine.

Il en va de meme pour l'analyse des objets analytiques locaux ( champs de vecteurs, difféomrphismes, équtions ou systèmes différentiels ou fonctionnels,... ) et en particulier de leurs invariants holomorphes. Ces derniers sont souvent réputés ``non-calculables", alors qu'ils le sont éminemment - grace aux moules.

Les moules interviennent aussi en théorie de la résurgence, où d'ailleurs ils prennent leur origine, car c'est là un contexte typiquement non-commutatif, qui à chaque pas requiert des indexations sur le monoide librement engendré par C.

Il y a aussi tout le champ des fonctions spéciales et sa ``complétion naturelle", qui est le champ des moules spéciaux. Expliquons-nous. L'Analyse du 19me siècle avait pour idéal la résolution explicite des équations (différentielles, etc) au moyen d'un certain nombre de fonctions spéciales, répertoriées, décrites et tabulées une fois pour toutes. Mais cela s'est vite révélé impraticable, car aucune collection de fonctions spéciales n'y suffisait. Aussi l'optique a-t-elle changée et, pour la common wisdom du 20me siècle, le `but' au contraire était de trouver des algorithmes de résolution. C' était un progrès, mais un recul aussi : on perdait en transparence ce qu'on gagnait en généralité. Heureusement, les deux choses sont conciliables : si le champ des fonctions spéciales est trop petit pour ``tout exprimer", le champ des moules spéciaux, lui, y suffit, tout en incorporant l'aspect algorithmique, vu le mode de définition, par récurrence sur la longueur, de la plupart des moules spéciaux.

Qui dit fonctions spéciales dit aussi constantes trancendantes spéciales : les deux choses vont de pair. Là aussi, les moules sont l'outil idoine. C'est le langage naturel dans lequel se construit le corps dénombrable Na des naturels, qui contient (presque) toutes les constantes transcendantes naturelles, à commencer par les multizetas, pour qui les principales conjectures viennent d'etre résolues, par une démarche qui, du début à la fin, utilise le langage des moules.