11 Mars 2024

François Nicolas (IRCAM)

Les mathématiques, un chœur disciplinaire hétérophonique ?

En plein essor du sérialisme, Boulez écrivait :

« On devra concevoir la transformation de la notion de voix,
non pas envisager son abolition. […]
La notion de voix doit être radicalement repensée. […]
Élargie, la notion de voix nous permettra de rendre “poreuses”
les catégories comme monodie, hétérophonie, polyphonie. »

(Penser la musique aujourd’hui ; 1962).

Me concernant, j’ai orienté de longue date mon travail de compositeur
sur l’idée d’hétérophonie, spécifiquement entendue comme nouage
borroméen de polyphonies (coopération des voix),
d’antiphonies (émulation) et de juxtaphonies (côte-à-côte).

Lors de ce séminaire, je me demanderai dans quelle mesure
ces catégories musicales sont susceptibles d’intéresser des working mathematicians.

Pour tenter devant vous de faire « résonner et retentir »
(Bachelard, Poétique de l’espace)
ces notions musicales dans le discours mathématique,
je commencerai par détailler, exemples musicaux à l’appui,
ce que hétérophonie veut musicalement dire dans ma dernière composition
(Petrograd 1918, 80 mn, oratorio d’après le poème Douze
d’Alexandre Blok pour piano, disklavier, IKO et récitant ;
commande de l’Ircam qui y sera présentée le 4 mai 2024).

Je tenterai ensuite d’éclairer et d’ombrer, selon cette logique musicale,
certains modalités du discours mathématique, en les « entendant » (« résonance »)
et les « faisant parler » (« retentissement »)
comme chœur de différentes voix disciplinaires (arithmétique, géométrie, algèbre ...).
Je commencerai, pour ce faire, par l’exemple simple du contrepoint intra-algébrique
que la correspondance de Galois établit entre la voix des corps
(de nombres), celle des anneaux (de polynômes) et celle des groupes
(de substitution). Au total, il s’agira, le temps de cette séance,
de bricoler (au sens où Claude Lévi-Strauss opposait la confiance en soi
inventive du bricoleur à la croyance aveugle de l’ingénieur
positiviste – Xenakis !) quelque fraternité de pensée entre working mathematicians et musiciens pensifs.