4 Anneaux et corps
4.1 Définitions, morphismes et sous-objets
Définition
4.1.1
Un anneau (unitaire) est un ensemble muni de deux lois de composition internes, notées additivement et multiplicativement, de deux éléments et et d’une fonction de dans lui-même tels que :
Comme dans le cas des groupes, on peut radiner sur les axiomes dans la définition précédente. Sans tomber dans l’excès, on peut noter les observations suivantes.
Lemme
4.1.3
Dans la définition d’un anneau, la commutativité de l’addition et l’absorptivité de zéro pour la multiplication sont redondantes avec les autres conditions, on peut les omettre (simultanément).
Preuve
▼
Soit et dans un anneau . La distributivité à gauche puis à droite et la neutralité de donnent . En appliquant d’abord la distributivité à droite puis à gauche on calcule . Ainsi . Comme est un groupe, on peut simplifier à gauche par et à droite par pour obtenir .
On se concentre maintenant sur l’absorptivité. On calcule et on simplifie par pour obtenir . On montre de même que .
Ainsi la commutativité de l’addition dans un anneau n’est pas négociable. En revanche on ne demande pas que la multiplication soit commutative et cela n’a rien d’automatique. L’astuce de la commutativité automatique ne fonctionne pas non plus dans la variante affaiblie suivante (qui ne servira que très épisodiquement, dans la proposition 4.2.15 et la section 5.3).
Définition
4.1.4
Un semi-anneau est un ensemble muni de deux lois de composition internes et et de deux éléments et tels que est un monoïde commutatif, est un monoïde, la multiplication est distributive sur l’addition à gauche et à droite et zéro est absorbant pour la multiplication à gauche et à droite. Ainsi c’est un anneau dans lequel on ne demande pas l’existence d’opposés.
Preuve
▼
Supposons que . Soit dans . On calcule . La réciproque est claire par définition.
Définition
4.1.7
Soit un anneau.
On dit que est commutatif si sa multiplication l’est.
Le groupe des unités de , noté , est le groupe des unités du monoïde , c’est à dire l’ensemble des éléments de qui sont inversibles pour la multiplication.
On dit que est un corps gauche s’il n’est pas trivial et si .
On dit que est un corps si est un corps gauche commutatif.
On dit qu’un élément de est un diviseur de zéro s’il existe tel que ou .
On dit que est intègre s’il est commutatif, non trivial et ne possède aucun diviseur de zéro non nul. Autrement dit, est commutatif, non trivial et, pour tous et dans , .
On ne confondra pas la notation avec la notation qui désigne parfois (mais qu’on n’utilisera pas dans ce cours). Les deux ne coïncident que dans le cas de l’anneau trivial et celui des corps gauche.
Définition
4.1.8
Un morphisme entre deux anneaux et est une application telle que :
Il est important de noter que la condition d’unitarité dans le deuxième point n’est pas automatique. Par exemple la fonction nulle entre deux anneaux est additive et multiplicative mais n’est unitaire que si l’anneau but est trivial.
Lemme
4.1.9
Si un morphisme d’anneau est bijectif alors sa réciproque est un morphisme d’anneau. On dit alors que ce morphisme est un isomorphisme d’anneaux.
Preuve
▼
Soit un morphisme d’anneaux bijectif. Le lemme 3.1.3 assure que la réciproque est un morphisme de groupes et le lemme 2.0.7 assure que c’est un morphisme de monoïdes.
Lemme
4.1.10
anneau des entiers relatifs Pour tout anneau , il existe un unique morphisme d’anneaux de dans .
Preuve
▼
Montrons l’unicité. Soit un morphisme de dans et dans . car est un morphisme de groupes. De plus donc (on remarquera que c’est l’unicité dans la propriété universelle de comme groupe libre).
Pour l’existence, il suffit de montrer que la formule ci-dessus définit bien un morphisme d’anneau. Les vérifications sont immédiates.
Définition
4.1.11
Soit une famille d’anneaux. Le produit des est l’ensemble équipé de sa structure de groupe additif produit et de monoïde multiplicatif produit.
Définition
4.1.13
Un sous-anneau de est un sous-groupe de qui est aussi un sous-monoïde de .
Comme dans le cas des groupes, la condition ci-dessus assure qu’un sous-anneau hérite d’une structure d’anneau. Contrairement au cas des groupes, il s’agit essentiellement du seul intérêt de cette définition car cette condition n’est pas suffisante pour quotienter.
Lemme
4.1.14
Soit et des anneaux un morphisme.
L’image par d’un sous-anneau de est un sous-anneau de . En particulier est un sous-anneau.
La préimage par d’un sous-anneau de est un sous-anneau de . Il faut prendre garde au fait que n’est pas sous-anneau de (sauf si est trivial) donc ce point n’affirme rien sur . La bonne notion concernant sera discutée dans la section suivante.
L’intersection d’une famille de sous-anneaux de est un sous-anneau de .
Preuve
▼
Tout découle directement des lemmes 2.0.13 et 3.1.8 concernant les sous-monoïdes et les sous-groupes.
4.2 Anneaux quotients
Définition
4.2.1
Un quotient d’un anneau est un anneau muni d’un morphisme surjectif.
On sait déjà que le noyau d’un morphisme d’anneau est un sous-groupe (distingué mais cette précision est inutile pour cause de commutativité). On observe aussi que, pour tous et dans , si alors , car et de même . Cela motive la définition suivante.
Définition
4.2.2
Un idéal d’un anneau est un sous-groupe de qui vérifie :
On note .
On peut aussi définir la notion d’idéal à gauche ou à droite en n’imposant qu’une seule des deux conclusions dans la définition. On appelle alors idéaux bilatères les idéaux définis ci-dessus, mais nous n’aurons aucun usage de ces notions dans ce cours.
Un anneau quotient est en particulier un groupe quotient donc le théorème 3.3.6 assure que, en tant que groupe, un anneau quotient est nécessairement isomorphe à pour un sous-groupe de . La question restante est la définition éventuelle d’un produit sur ce quotient.
Proposition
4.2.5
Soit un anneau.
Pour tout morphisme d’anneaux , .
Soit un sous-groupe de . Il existe une structure d’anneau qui étend la structure de groupe de et telle que la projection soit un morphisme d’anneaux si et seulement si est un idéal de .
Preuve
▼
On a déjà démontré le premier point pour motiver la définition d’idéal.
Soit un sous-groupe de . Un produit sur rend multiplicative la projection si et seulement si on peut compléter le diagramme
Le corollaire 1.0.13 et la définition de la relation d’équivalence associée à fournissent la condition nécessaire et suffisante:
Supposons la condition ??. Soit dans et dans . On spécialise à , , et pour obtenir . Puis on spécialise à , , et pour obtenir . Ainsi est un idéal.
Réciproquement, supposons que est un idéal de . Soit , , et tels que et . On a :
donc la condition ?? est vérifiée. Le lemme 2.0.9 assure que la multiplication obtenue sur est associative et admet pour neutre .
Théorème
4.2.7
Propriété universelle des anneaux quotients
anneau quotient Soit et des anneaux, un morphisme et .
Si alors il existe un unique morphisme d’anneaux qui fait commuter
On a alors . Réciproquement, si existe alors .
Le morphisme induit un isomorphisme de sur .
Pour tout , si alors il existe un unique morphisme tel que
De plus . Réciproquement, si existe alors .
Preuve
▼
Pour le premier point, le théorème 3.3.9 assure déjà l’unicité et l’existence d’un morphisme de groupes et la description de son noyau. Le lemme 2.0.9 assure que est automatiquement un morphisme de monoïdes multiplicatifs.
Pour le deuxième point, on sait déjà par le corollaire 3.3.11 qu’on obtient un isomorphisme de groupes, et le lemme 4.1.9 assure que c’est un isomorphisme d’anneaux. Pour le troisième point, on applique le premier point à (la discussion de l’injectivité provient directement du cas des groupes).
Lemme
4.2.8
Soit et des anneaux et un morphisme.
La préimage d’un idéal de par est un idéal de (en particulier on retrouve que est un idéal).
Si est surjective alors l’image d’un idéal de par est un idéal de .
Une intersection d’idéaux est un idéal.
Preuve
▼
Le lemme 3.1.8 assure que la préimage d’un idéal de par est un sous-groupe de . Soit et . On a et est dans donc aussi. De même est dans .
Supposons maintenant que est surjective. Le même lemme assure que l’image d’un idéal de par est sous-groupe de . Soit dans et dans . Par surjectivité de on obtient dans tel que et on a et est dans donc est dans . De même est dans .
Soit une famille d’idéaux de . On sait déjà que l’intersection des éléments de est un sous-groupe de . Soit et . Pour tout , est dans donc aussi. Ainsi est dans . De même est dans .
Définition
4.2.9
L’idéal engendré par une partie d’un anneau est l’intersection de tous les idéaux de contenant :
Le lemme suivant rassemble les propriétés formelles des idéaux engendrés.
Lemme
4.2.10
idéal engendré Soit une partie d’un anneau .
est un idéal de qui contient .
Pour tout , (ainsi est le plus petit idéal de qui contient ). Cette propriété universelle caractérise .
L’application est croissante : .
Pour tout morphisme , .
Preuve
▼
C’est exactement la même démonstration que pour le lemme 2.0.16 car cette dernière a été rédigée de façon suffisamment abstraite.
Lemme
4.2.11
Soit un anneau et un partie de . L’idéal engendré par est l’ensemble des sommes d’éléments de la forme avec dans , et dans (en incluant la somme vide qui donne ). Si est commutatif, il suffit de sommer des éléments de la forme avec dans et dans .
Preuve
▼
L’ensemble décrit vérifie bien la propriété universelle du lemme précédent.
Lemme
4.2.12
Soit et deux idéaux d’un anneau . L’ensemble des sommes d’un élément de et d’un élément de est un idéal appelé somme de et . C’est l’idéal engendré par . L’idéal nul est neutre pour cette opération.
Preuve
▼
Pour vérifier que est un sous-groupe, on utilise le lemme 3.1.8. L’ensemble n’est pas vide car il contient zéro. Soit et des éléments de . On a qui est dans . Ainsi est bien un sous-groupe de . Soit et dans . On a qui est bien dans car et sont des idéaux. De même est dans . Ainsi est bien un idéal de .
Il contient car et contiennent . Donc contient . Montrons l’autre inclusion. Soit dans . Le lemme 4.2.11 fournit et des familles , et telles que avec pour tout . En mettant d’un côté la somme des tels que est dans et de l’autre celle de ceux pour lesquels est dans , on voit que est dans .
L’analogue du lemme ci-dessus pour les produits est faux. Si et sont dans et et sont dans , il n’y a aucune raison que puisse s’écrire sous la forme avec dans et dans . On utilise donc la définition un peu piégeuse suivante.
Définition
4.2.13
Soit et des idéaux d’un anneau . L’idéal produit est l’idéal engendré par les produits d’un élément de et d’un élément de .
Proposition
4.2.15
Soit un anneau.
L’ensemble de idéaux de , muni des opérations d’addition et de multiplication, de l’idéal nul et de l’idéal est un semi-anneau. On notera donc l’idéal .
Pour tout morphisme d’anneaux , l’application induite des idéaux de dans les idéaux de envoie sur et est compatible avec l’addition et la multiplication (par contre elle n’envoie sur que si est surjective).
Pour tous idéaux et , .
Si est commutatif alors, pour tous idéaux et , et .
Preuve
▼
Soit , et des idéaux de . On a en utilisant le lemme précédent. De même l’associativité de l’addition des idéaux découle de celle de la réunion mais il faut être un peu plus prudent. Soit , et des idéaux de . On veut montrer que . Vu l’associativité de la réunion, il suffit de montrer que et . Soit un idéal de .
Donc l’idéal vérifie la propriété universelle qui caractérise . Le cas de fonctionne exactement de la même façon.
De plus .
Notons l’ensemble des produits d’éléments de et de , de sorte que . L’opération est associative car la multiplication dans est associative. Elle est commutative si est commutatif. On a et de même . L’associativité de la multiplication découle de celle de comme l’associativité de la somme découle de celle de la réunion.
Montrons la distributivité. Par la remarque ci-dessus, les éléments de s’écrivent comme avec, pour tout , , et . En développant distribuant les multiplication et en utilisant la commutativité de l’addition on voit que ces éléments sont dans . Montrons l’inclusion réciproque. Comme , on obtient donc . De même donc donc et finalement . On montre de même que .
Pour le second point, soit un morphisme d’anneaux. Le fait que envoie l’idéal nul sur l’idéal nul est clair. Montrons l’additivité. Soit et des idéaux dans . On a . Comme est multiplicative, et on en déduit que comme pour l’addition.
Pour le troisième point, il est clair que donc . Par ailleurs les éléments de s’écrivent comme sommes de avec donc et donc donc ces éléments sont dans .
Montrons enfin le dernier point. On suppose commutatif. L’opération est alors commutative donc le produit des idéaux aussi. Soit et des idéaux de . Supposons . On sait déjà que . On a (en utilisant la commutativité dans la dernière égalité).
Proposition
4.2.18
Soit un anneau et . On note la projection de sur . L’ensemble des idéaux de qui contiennent est en bijection croissante avec l’ensemble des idéaux de par l’application , de réciproque . De plus est compatible avec l’addition, envoie sur et sur . Si et sont des idéaux tels que alors .
Preuve
▼
Le théorème 3.3.13 assure déjà que est une bijection entre les sous-groupes de qui contiennent et les sous-groupes de . De plus le lemme 4.2.8 assure que cette bijection envoie les idéaux sur les idéaux (dans les deux sens).
Le fait que envoie sur est clair, car est surjectif, et le reste provient directement de la proposition 4.2.15 (la condition ne sert qu’à assurer que , et sont tous trois bien définis).
L’observation suivante est triviale mais très utile.
Lemme
4.2.19
Un anneau commutatif est un corps si et seulement si il possède exactement deux idéaux: et .
Preuve
▼
On commence par noter que, dans les idéaux de , si et seulement si n’est pas trivial.
Supposons que est un corps. Comme n’est pas trivial, il possède au moins deux idéaux : et . Soit différent de . Soit un élément non nul de . Par hypothèse est inversible donc est dans donc .
Réciproquement, supposons que a exactement deux idéaux, et . En particulier n’est pas trivial. Soit dans non nul. L’idéal engendré par n’est pas nul car il contient donc c’est . En particulier donc il existe tel que et est inversible.
Définition
4.2.20
On dit que deux idéaux et d’un anneau sont premiers entre eux si .
Nous verrons plus loin le lien avec l’arithmétique. Pour l’instant il s’agit d’une définition taillée sur mesure pour généraliser la démonstration de théorème des restes chinois (sans même une hypothèse de commutativité).
La démonstration utilisera le lemme suivant.
Lemme
4.2.21
Soit , , …, des idéaux d’un anneau . Si est premier avec chacun des alors il est premier avec leur intersection.
Preuve
▼
On procède par récurrence sur . Le cas est tautologique. Supposons le théorème démontré jusqu’à . Soit , , …, des idéaux d’un anneau tels que est premier avec chacun des . On pose , de sorte que l’intersection des est . Par hypothèse de récurrence, . Par ailleurs on a supposé . On a donc
donc (car ).
Théorème
4.2.22
Théorème des restes chinois
Soit un anneau et , …, des idéaux de . On note la projection de sur . Si les idéaux sont premiers entre eux deux à deux alors le morphisme induit un isomorphisme entre et . Si de plus est commutatif alors .
Preuve
▼
On applique le second point du théorème 4.2.7. On a donc tout le travail consiste à montrer que est surjectif. Soit , … dans . On veut dans tel que .
Construisons une famille d’éléments tels que, pour tout , et, pour tout , . Soit . Le lemme 4.2.21 assure que est premier avec l’intersection de tous les autres . On obtient donc des éléments et tels que . On a alors car tandis que, pour tout , car et .
On retourne maintenant au problème de départ et on pose qui convient d’après les propriétés des .
Supposons maintenant que est commutatif. Montrons par récurrence sur que . Pour il n’y a rien à démontrer. Supposons le résultat connu jusqu’à et considérons une famille de idéaux premiers entre eux deux à deux. D’après le lemme 4.2.21, est premier avec . Le dernier point de la proposition 4.2.15 assure alors que . On conclut par l’hypothèse de récurrence qui garantit que .
Définition
4.2.23
Un idéal est principal s’il est engendré par un singleton. Un anneau est principal s’il est intègre et si tous ses idéaux sont principaux.
Comme dans le cas des groupes cycliques, on dira plutôt qu’un idéal principal est engendré par « un élément » et on notera plutôt que .
Jusqu’à la fin de ce chapitre tous les anneaux seront commutatifs (cela sera rappelé dans les énoncés).
Lemme
4.2.24
Si est commutatif, l’application de dans l’ensemble de ses idéaux qui envoie sur l’idéal principal est un morphisme de monoïdes multiplicatifs : et, pour tout et dans , .
Preuve
▼
L’égalité est vraie par définition. Soit et dans . Comme , . Pour l’autre inclusion, on utilise que est commutatif donc , donc est formé des sommes . Or une telle somme peut se réécrire donc appartient à .
En pratique dans ce cours on ne parlera d’idéaux principaux que dans un anneau commutatif. Dans ce cas la proposition ci-dessus explique pourquoi Dedekind a utilisé le mot idéal : d’un point de vue multiplicatif, l’application permet de voir les idéaux de comme des éléments supplémentaires de (et le mot « imaginaire » était déjà pris dans un contexte analogue). Dans cette image il faut se méfier un peu du fait que n’est pas injectif. La motivation de Dedekind était de retrouver dans certains cas une unique décomposition en produit de facteurs premiers (comme dans ). Nous reviendrons sur ces considérations arithmétiques dans la section suivante, en se penchant aussi sur la description de (qui n’a rien à voir avec ...) et sur le lien entre le théorème Chinois ci-dessus et sa version élémentaire (corollaire 4.3.8).
Définition
4.2.25
Soit un anneau commutatif et .
On dit que est premier si et,
Autrement dit, est premier si son complémentaire est un sous-monoïde multiplicatif (car ).
On dit que est maximal si et
Autrement dit, est maximal s’il est maximal pour l’inclusion parmi les idéaux propres de .
Lemme
4.2.26
Soit un anneau commutatif et .
Preuve
▼
On commence par observer que donc les conditions de non-trivialité intervenant dans les définition d’idéal premier et d’anneau intègre sont équivalentes. Comme est un morphisme surjectif et , on a
Pour le second point, on observe encore que si et seulement n’est pas trivial. Par ailleurs le lemme 4.2.19 assure que est un corps si et seulement il possède exactement deux idéaux et la proposition 4.2.18 décrit les idéaux de donc on a :
Pour le troisième point, on suppose que est premier et est un morphisme. On a car sinon on aurait et donc . Soit et dans tels que . On a donc donc . Puisque est premier, on en déduit ou , c’est à dire ou .
Alternativement, on peut montrer ce troisième point en utilisant le premier. Supposons que est premier. Alors est intègre et on veut montrer que est intègre. Or le théorème 4.2.7 assure que induit un morphisme injectif de dans . Cela permet de conclure car un sous-anneau d’un anneau intègre est intègre.
Soit un anneau commutatif. Si n’est pas intègre, il n’y a aucun espoir de l’injecter dans un corps (ni même dans un anneau intègre). Par contre on peut essayer de lui trouver un quotient qui est un corps (par exemple est un quotient de ). Vu le lemme 4.2.26 l’existence d’un tel quotient est équivalente à l’existence d’un idéal maximal dans .
On admet l’énoncé suivant qui est un théorème ou un axiome selon les fondements choisis.
Lemme
4.2.28
Lemme de Zorn
Soit un ensemble (partiellement) ordonné. Si toute partie totalement ordonnée de admet un majorant alors admet un élément maximal.
On rappelle qu’un majorant d’une partie d’un ensemble ordonné est un élément de qui est plus grand que tous les éléments de , il n’est pas nécessairement dans . Un élément de est maximal s’il n’y a pas d’élément de strictement plus grand que , il s’agit d’une condition plus faible que de demander que soit plus grand que tous les éléments de .
Proposition
4.2.29
Théorème de Krull
Soit un anneau commutatif. Tout idéal propre (c’est à dire que ) est contenu dans un idéal maximal. En particulier si est non trivial alors il possède un idéal maximal et donc un quotient qui est un corps.
Preuve
▼
La seconde partie découle du lemme 4.2.26 et de la première partie car dans un anneau non-trivial l’idéal nul est propre.
Soit propre. Par définition, un idéal maximal contenant est un élément maximal de l’ensemble
Il suffit donc de montrer que cet ensemble vérifie l’hypothèse du lemme de Zorn. Soit une partie totalement ordonnée de (pour l’inclusion). On pose . Il s’agit d’une partie de qui contient tous les . Le point clef est que est dans .
Soit dans et dans . Par définition de on obtient tel que . Comme est un idéal, est dans donc dans .
Soit et dans . Soit et dans tels que et . Comme l’ensemble des est totalement ordonné, ou . Dans le deux cas on trouve un membre de la famille qui contient à la fois et donc contient leur somme.
Enfin ne contient pas car aucun des ne le contient, donc .
Le lemme de Zorn est inévitable dans la démonstration ci-dessus : on peut démontrer que le théorème de Krull implique le lemme de Zorn (sous des hypothèses raisonnables sur les autres fondements).
4.3 Un peu d’arithmétique
Cette section relie la théorie des idéaux et celle de la divisibilité. Dans presque toute cette section, sera un anneau commutatif intègre. L’intégrité n’intervient pas dans la définition de la divisibilité mais elle est nécessaire pour obtenir les propriétés attendues.
Définition
4.3.1
Soit et deux éléments d’un anneau commutatif . On dit que divise , et on note s’il existe dans tel que . On dit aussi que est un diviseur de et que est un multiple de .
L’intégrité intervient dès le lemme suivant.
Lemme
4.3.3
Soit et deux éléments d’un anneau commutatif intègre .
Lorsque ces conditions sont vérifiées, on dit que et sont associés.
Preuve
▼
Supposons que et . On obtient ainsi et tels que et . On en déduit , donc et, par intégrité de , ou . Si alors la condition assure que et on peut choisir . Sinon on obtient donc est une unité convenable.
Réciproquement, supposons que pour . On a directement et aussi car .
Définition
4.3.5
Soit un anneau commutatif. On dit qu’un élément de est
irréductible si et
premier si , et
Soit et deux éléments de .
On dit que et sont premiers entre eux si tous leurs diviseurs communs sont inversibles : .
On dit qu’un élément de de est un pgcd (plus grand commun diviseur) de et de s’il est un diviseur de et et si tout diviseur de et divise (autrement dit est un maximum de l’ensemble des diviseurs communs à et , pour la relation de divisibilité). En particulier et sont premier entre eux si et seulement si est un pgcd de et de . pgcd
On dit qu’un élément de de est un ppcm (plus petit commun multiple) de et de s’il est un multiple de et et si tout multiple de et est multiple de (autrement dit est un minimum de l’ensemble des multiples communs à et , pour la relation de divisibilité). ppcm
Le lemme suivant relie les opérations sur les idéaux avec les pgcd.
Lemme
4.3.6
Soit , , , et des éléments d’un anneau commutatif .
si est intègre et et sont des pgcd de et de alors et sont associés.
Si alors est un pgcd de et de . En particulier, si les idéaux et sont premiers entre eux (au sens de la définition 4.2.20) alors et sont premiers entre eux.
Si est principal alors et ont un pgcd, et est un pgcd de et de si et seulement si . En particulier, sous cette hypothèse que est principal, et sont premiers entre eux si et seulement si et sont premiers entre eux, c’est à dire s’il existe et dans tels que (ce résultat est souvent appelé théorème de Bézout).
Preuve
▼
Supposons que et sont des pgcd de et de . Comme est un diviseur commun à et et que est un pgcd de et , on apprend que . De même on obtient et, par le lemme 4.3.3, et sont associés.
Pour le second point, on utilise la propriété universelle de la somme d’idéaux et le fait que est un idéal pour obtenir
Supposons maintenant que . En particulier donc le point précédent assure que est un diviseur commun à et . Soit un autre diviseur commun à et . Par l’autre implication du point précédent, , c’est à dire donc .
Supposons que est principal. Comme tous les idéaux de sont principaux, on obtient un générateur de l’idéal . Par le point précédent, est un pgcd de et . La réciproque est directement fournie par le point précédent.
Toujours sous l’hypothèse que est principal, supposons que et sont premiers entre eux. On a alors par le point précédent. Donc contient , c’est à dire qu’il existe et tels que . Réciproquement si un tel couple existe alors donc et et sont premiers entre aux par le troisième point (sans utiliser que est principal).
Corollaire
4.3.8
Théorème des restes chinois dans un anneau principal
Soit un anneau commutatif principal, , …, des éléments de . On note la projection de sur . Si les sont premiers entre eux deux à deux alors le morphisme induit un isomorphisme entre et .
Preuve
▼
Supposons les premiers entre eux deux à deux. Comme est principal, le dernier point du lemme précédent assure que les sont premiers entre eux deux à deux. Le théorème 4.2.22 assure alors que descend en isomorphisme de vers . Or d’après le lemme 4.2.24.
Le lemme suivant relie les opérations sur les idéaux avec les ppcm (mais il est nettement moins utile que la version concernant les pgcd).
Lemme
4.3.9
Soit , , , et des éléments d’un anneau commutatif .
si est intègre et et sont des ppcm de et de alors et sont associés.
Si alors est un ppcm de et de .
Si est principal alors et ont un ppcm, et est un ppcm de et de si et seulement si .
Preuve
▼
Supposons que est intègre et que et sont des ppcm de et de . En particulier et . Comme est un ppcm de et de , on en déduit que . De même on démontre que et on conclut par le lemme 4.3.3 que et sont associés.
Le second point est clair car . Les points suivants en découlent comme dans le cas du pgcd.
Proposition
4.3.10
Soit un élément d’un anneau commutatif intègre .
Si est premier alors est irréductible.
Si , l’idéal est premier si et seulement si est premier (par contre l’idéal est premier tandis que le de n’est pas un élément premier).
Si l’idéal est maximal et alors est irréductible.
Si est principal alors la réciproque du point précédent est vraie. Dans ce cas, sous l’hypothèse ,
Preuve
▼
Supposons premier. En particulier n’est ni inversible ni nul. Supposons que pour et dans . En particulier donc par primalité, ou . Disons que . Soit dans tel que . On obtient donc . Par intégrité de , on en déduit que ou . Le premier cas est exclu car n’est pas nul. Ainsi et est inversible.
Le second point découle directement des définitions. En effet, est premier si et seulement si et , ce qui se traduit par et . En supposant on a donc bien l’équivalence. On remarque que l’idéal nul est premier car est intègre.
Supposons maintenant que est maximal et . En particulier donc n’est pas inversible. Supposons que pour et dans . En particulier donc . Par maximalité de , ou . Dans le premier cas on obtient une unité telle que et donc . Or car sinon on aurait . Donc par intégrité de on obtient et est inversible. Dans le second cas on obtient directement que est inversible.
Enfin supposons que est principal et . On sait déjà que
sans utiliser l’hypothèse que est principal. Il reste à montrer que si est irréductible alors est maximal. Supposons irréductible. En particulier n’est pas inversible donc . Soit un idéal contenant . Soit un générateur de . On a car . Soit tel que . Comme est irréductible, ou est inversible. Si est inversible alors . Si est inversible alors .
Il est bien connu que et sont des anneaux principaux. La définition suivante permet de faire une seule démonstration pour ces deux cas (et guère plus que cela, malgré son aspect très général). Au passage on note aussi que le lemme précédent assure que dans et dans les éléments irréductibles et premiers sont les mêmes. Pour des raisons historiques, on utilise systématiquement le terme premier dans le cas de et irréductible dans celui de …
Définition
4.3.11
Un anneau euclidien est un anneau commutatif intègre tel qu’il existe une fonction telle que :
Une telle fonction est appelée stathme pour et une égalité de la forme avec ou est appelée division euclidienne de par . On ne demande aucune unicité de la division euclidienne.
Lemme
4.3.13
Tout anneau euclidien est principal.
Preuve
▼
Soit un anneau euclidien et un stathme pour . Par définition des anneaux euclidiens, est intègre. Montrons que tous ses idéaux sont principaux. Soit un idéal de . Si alors est principal. Sinon on fixe qui minimise . Montrons que . Soit dans et une division euclidienne de par . Supposons pas l’absurde . On a alors . Or donc est dans et la minimalité de est contredite. Ainsi et donc .
Pour un anneau commutatif qui n’est pas un corps, il n’y a aucune raison que soit euclidien. Par exemple n’est pas principal. Cependant on a une division euclidienne par les polynômes dont le coefficient dominant est inversible. Cela suffit déjà à rendre des services, comme dans le lemme suivant.
Lemme
4.3.14
Soit un anneau commutatif et à coefficient dominant inversible. La restriction de à l’ensemble des polynômes de degré strictement plus petit que celui de est une bijection.
Preuve
▼
Soit . On veut montrer qu’il existe un unique polynôme tel que et . Soit tel que . Puisque le coefficient dominant de est inversible, on a une division euclidienne avec ou . Comme , convient. Montrons maintenant l’unicité. Supposons que et conviennent. On a alors et donc . On obtient ainsi tel que . Comme le coefficient dominant de est inversible, soit soit . On obtient donc bien et donc .
Pour conclure ces considérations arithmétiques, on rappelle le lien entre racines des polynômes et divisibilité.
Lemme
4.3.15
Soit un anneau commutatif et . Un élément de est racine de si et seulement si divise . Si est intègre et n’est pas nul alors admet au plus racines.
Preuve
▼
Comme est unitaire, on a une division euclidienne avec ou donc . En évaluant en on obtient donc .
Supposons maintenant que est intègre. Cette hypothèse assure que, pour tous polynômes et non nuls, (car le coefficient dominant de est le produit des coefficients dominants de et de ). En particulier les polynômes sont premiers entre eux deux à deux. Soit un polynôme non nul. Supposons que possède des racines pour . Comme les polynômes sont premiers entre eux deux à deux, . On obtient ainsi tel que . Comme est intègre et que est non nul, et donc . Remarque : la section suivante rendra plus confortable cet genre d’argument en plongeant tout anneau intègre dans un corps.
4.4 Localisation
Dans cette section on veut abstraire le passage de à qui créé des inverses pour les éléments non nuls de , ainsi que la construction des nombres décimaux qui ne créé des inverses qu’aux puissances de dix. Dans le contexte très simple des entiers, on peut voir les nombres décimaux comme un sous-anneau du corps mais ce ne sera plus le cas en général si on part d’un anneau qui n’est pas intègre. Il faut donc un cadre général permettant d’inverser seulement certains éléments. On commence par le cas plus simple des monoïdes (qui a d’autres applications, en particulier la construction de à partir de ).
Définition
4.4.1
localisation d’un monoïde Soit un monoïde commutatif et une partie de . Une localisation de par rapport à est un monoïde muni d’un morphisme tel que et qui sont minimaux pour cette propriété, c’est à dire qu’ils satisfont la propriété universelle suivante : pour tout monoïde et tout morphisme tel que , il existe un unique tel que .
Comme d’habitude, la propriété universelle de la définition assure l’unicité à unique isomorphisme près. Dans la définition de localisation, on ne demande rien à mais le lemme suivant montre que cette notion ne voit que le sous-monoïde engendré par .
Lemme
4.4.2
Si est une localisation par rapport à alors c’est une localisation par rapport au sous-monoïde engendré par .
Preuve
▼
Par hypothèse . Or est un sous-monoïde de donc, d’après le lemme 2.0.16, il contient aussi le sous-monoïde engendré par , c’est à dire . Soit un monoïde et un morphisme tel que . En particulier donc l’hypothèse fournit l’unique désiré.
Théorème
4.4.3
Soit un monoïde commutatif et une partie de . Il existe une localisation de par rapport à . De plus est commutatif, et tous les éléments de s’écrivent sous la forme pour un certain et . Deux éléments et de ont même image si et seulement si il existe tel que . En particulier est injective si et seulement si tous les éléments de sont simplifiables.
Preuve
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On s’inspire de la construction des nombres rationnels mais en prenant garde à l’existence potentielle d’éléments non simplifiables. On définit une relation sur par s’il existe tel que . On note que contient donc il s’agit d’une relation qui contient la relation naïve définie par . En particulier cette relation est réflexive. La symétrie est claire aussi. C’est la transitivité qui nécessite la précaution d’inclure . Supposons que et . On obtient et dans tels que et . On a alors et donc . Avec la relation naïve on aurait seulement pu calculer mais cela ne permet pas de conclure que si n’est pas simplifiable.
On définit comme le quotient de par cette relation d’équivalence. On note l’image d’une paire dans ce quotient et on définit comme envoyant sur . On définit dans comme .
Pour définir la multiplication sur on descend qui est la multiplication sur le monoïde . La vérification des conditions de compatibilité permettant la descente est directe. Le lemme 2.0.9 assure alors que est un monoïde. L’image de est bien formée d’éléments inversibles car puisque donc . L’application est clairement un morphisme de monoïdes.
Soit un morphisme de monoïdes tel que (et donc ). L’image de est un sous-monoïde commutatif de car est commutatif, donc on commutera librement les éléments de cette image. L’application de dans définie par descend au quotient car si , et vérifient alors et, comme est inversible, puis, comme et sont inversibles et commutent, . Le lemme 2.0.9 assure que l’application descendue est un morphisme de monoïdes. Enfin pour tout dans , on a donc est bien une extension de .
Vérifions enfin à quelle condition et dans ont la même image dans . .
On revient maintenant à notre objectif initial de localiser des anneaux.
Définition
4.4.6
localisation d’un anneau Soit un anneau commutatif et une partie de . Une localisation de par rapport à est un anneau muni d’un morphisme tel que et qui sont minimaux pour cette propriété, c’est à dire qu’ils satisfont la propriété universelle suivante : pour tout anneau et tout morphisme tel que , il existe un unique tel que .
Bien sûr cette définition est complètement parallèle à la définition 4.4.1 mais il n’est pas évident que le monoïde multiplicatif sous-jacent à une localisation d’un anneau soit une localisation du monoïde car les propriétés universelles demandées sont incomparables (il y a plus de monoïdes que d’anneaux mais la contrainte de morphisme d’anneaux est plus forte). Cependant on verra qu’on peut réutiliser le théorème 4.4.3.
On commence par observer que cette définition on ne demande rien à mais, comme dans le cas des monoïdes, cette notion ne voit que le sous-monoïde engendré par .
Lemme
4.4.7
Si est une localisation par rapport à alors c’est une localisation par rapport au sous-monoïde (multiplicatif) engendré par .
Preuve
▼
On ne peut pas appliquer directement l’analogue démontré pour les localisations de monoïdes car la propriété universelle n’est pas la bonne, mais la même démonstration fonctionne. Par hypothèse . Or est un sous-monoïde de donc il contient aussi le sous-monoïde engendré par , c’est à dire d’après le lemme 4.2.10. Soit un anneau et un morphisme tel que . En particulier donc l’hypothèse fournit l’unique désiré.
Théorème
4.4.8
Soit un anneau commutatif et une partie de . Il existe une localisation de par rapport à . De plus est commutatif, et tous les éléments de s’écrivent sous la forme pour un certain et .
Preuve
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On utilise le théorème 4.4.3 pour obtenir une localisation de telle que tout élément de s’écrit sous la forme pour un certain et . Ainsi est le quotient de défini par . On définit . Pour définir l’addition on descend . La vérification de la condition de compatibilité permettant la descente est directe. De même on peut vérifier directement les axiomes de groupes pour l’addition et la distributivité. On sait déjà que est un morphisme de monoïde multiplicatif et la compatibilité avec l’addition est claire. Comme , la description du noyau de provient directement du théorème 4.4.3.
Soit un morphisme d’anneaux tel que (et donc ). On a déjà un morphisme de monoïdes multiplicatifs défini en descendant . Il ne reste à vérifier que la compatibilité avec l’addition. Soit et dans . On calcule en utilisant que l’image de est un sous-anneau commutatif :
Comme d’habitude, la propriété universelle de la définition montre que les localisations sont uniques à unique isomorphisme près. Par abus de langage on appellera souvent la localisation de par rapport à . Le corollaire suivant montre ce que le modèle nous apprend sur les autres localisations, abstraites ou concrètes.
Corollaire
4.4.9
Soit un anneau commutatif et une partie de .
Pour toute localisation de par rapport à
Si est un sous-anneau d’un corps et ne contient pas alors le sous-monoïde engendré par ne contient pas non plus zéro et est un sous-anneau de qui, muni de l’inclusion , est une localisation par rapport à .
Preuve
▼
Pour le premier point, la propriété universelle de assure qu’il existe un (unique) isomorphisme tel que donc ces propriétés découlent directement de celles de .
Si alors donc le théorème donne l’existence d’un tel que donc . Réciproquement si est dans alors est inversible dans donc .
Le théorème donne directement que est injectif si et seulement si ne contient pas de diviseur de zéro. Il suffit de montrer que contient un diviseur de zéro si et seulement si en contient un. Un des sens est clair, l’autre se démontre facilement par récurrence sur le nombre de facteur nécessaire pour écrire un élément de comme produit d’éléments de .
Supposons maintenant et . Le sous-monoïde est constitué de produits d’éléments de . Or est intègre donc aucun de ces produits ne peut être nul. L’inclusion de dans est un morphisme d’anneau qui envoie les éléments de sur des inversibles de puisque et est un corps. On obtient donc une application qui étend l’inclusion et envoie sur . Cette application est injective car son noyau est trivial et son image est par définition de . Ainsi on a un isomorphisme de vers compatible avec les inclusions donc est aussi une localisation de par rapport à .
Corollaire
4.4.13
corps des fractions Soit un anneau commutatif intègre. La localisation de par rapport à est un corps appelé corps des fractions de et noté . Le morphisme de localisation est injectif.
Ce corps vérifie la propriété universelle suivante : pour tout corps et tout morphisme d’anneau injectif, il existe un unique morphisme tel que .
Ainsi est le plus petit corps dans lequel on peut injecter (et cela le caractérise à unique isomorphisme près).
Preuve
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L’intégrité de assure que est un sous-monoïde de qui ne contient pas de diviseur de zéro. Ainsi le corollaire 4.4.9 assure que est non trivial et que est injectif. Soit un élément non nul de . Comme , est dans donc on peut calculer et est inversible.
Soit un corps et un morphisme injectif. Par injectivité, envoie dans , c’est à dire dans puisque est un corps. On conclut donc par la propriété universelle de . □
Plus généralement, on peut localiser tout anneau commutatif par rapport au sous-monoïde de ses éléments qui ne sont pas des diviseurs de zéro. On obtient ainsi un anneau dans le lequel on a inversé un maximum d’éléments sans perte d’information.