5 Modules
5.1 Définitions, morphismes et sous-objets
Dans ce chapitre on étudie la structure de module qui est la généralisation de la structure d’espace vectoriel obtenue lorsqu’on remplace le corps des scalaires par un anneau. Si \(A\) est un anneau général, on ne dit pas « \(A\)-espace vectoriel » mais « \(A\)-module ». Le début de l’histoire ne nécessite pas de supposer que cet anneau est commutatif mais au fera cette hypothèse systématiquement à partir de la troisième section. Dans cette première section on généralise les notions d’espace vectoriel, de sous-espace vectoriel et d’application linéaire. Il n’y a aucune surprise, même si les définitions sont exprimées de façon plus concise que dans un cours d’introduction à l’algèbre linéaire.
Les différences qui interviennent ultérieurement ont deux sources principales (qui sont en fait liées comme le verra dans les exemples ci-dessous et dans le corollaire 5.3.12) : sur un anneau commutatif général, un module n’a pas nécessairement de base et un sous-module n’a pas nécessairement de supplémentaire. Ces phénomènes ne nécessitent pas un anneau exotique. Le \(ℤ\)-module \(ℤ/2ℤ\) n’admet pas de base tandis que le sous-module \(2ℤ\) du \(ℤ\)-module \(ℤ\) n’admet pas de supplémentaire. Le problème de l’absence de supplémentaire est résolu par la construction des modules quotients qui fait l’objet de la section 5.2. Ensuite la section 5.3 étudie les modules libres, c’est-à-dire ceux qui admettent une base. La section 5.4 assemble tous ces éléments pour fournir une classification grossière des modules ayant une famille génératrice finie lorsque l’anneau des coefficients est principal, ainsi qu’une classification complète dans le cas où cet anneau est \(ℤ\), c’est la classification des groupes abéliens de type fini. Cette section est de loin la plus technique de ce cours, ce qui est attendu puisqu’elle démontre des théorèmes de structure et de classification comme expliqué dans l’introduction générale du cours.
5.1.1 Modules et applications linéaires
La définition de module est très concise. Il est important de prendre le temps de la relier à la longue définition qui est habituellement donnée pour les espaces vectoriels. Tout d’abord il faut savoir que le morphisme d’anneau intervenant dans la définition est habituellement noté par un symbole invisible. Notons-le provisoirement \(ρ\). Ensuite pour des éléments \(a\) de \(A\) et \(x\) de \(M\) l’élément \(ρ(a)(x)\) est noté \(ax\) et appelé multiplication de \(x\) par le scalaire \(a\). La définition implique les propriétés suivantes pour tous \(a\) et \(b\) dans \(A\) et tous \(x\) et \(y\) dans \(M\) :
\(a(x + y) = ax + ay\) car \(ρ(a)\) est un élément de \(\operatorname{End}(M)\), l’anneau des morphismes de groupes de \(M\) dans \(M\)
\((a + b)x = ax + bx\) car \(ρ\) est additif
\(a(bx) = (ab)x\) car \(ρ\) est multiplicatif
\(1x = x\) car \(ρ(1) = 1\) et le \(1\) de \(\operatorname{End}(M)\) est le morphisme identité.
On retrouve bien les axiomes apparaissant dans la définition élémentaire d’espace vectoriel et on voit qu’on peut définir la notion de module par une telle liste. Comme dans la discussion de la définition d’anneau, on peut noter qu’on peut dresser une liste d’axiomes plus courte. En particulier la commutativité de l’addition dans un module découle des autres axiomes. La définition retenue en terme de morphisme de \(A\) dans \(\operatorname{End}(M)\) dispense de ces discussions.
Tout anneau \(A\) est un \(A\)-module, en utilisant la multiplication comme multiplication scalaire. Si \(M\) est un groupe abélien, c’est un \(\operatorname{End}(M)\)-module, via l’identité de \(\operatorname{End}(M)\). Les groupes abéliens sont exactement les \(ℤ\)-modules. Pour tout corps \(𝕂\), les \(𝕂\)-espaces vectoriels sont exactement les \(𝕂\)-modules. Tout \(𝕂\)-espace vectoriel \(E\) est aussi un \(\operatorname{End}(E)\)-module. Pour tout endomorphisme \(u ∈ \operatorname{End}(E)\) on obtient aussi une structure de \(K[X]\)-module sur \(E\), l’image du scalaire \(P ∈ 𝕂[x]\) dans \(\operatorname{End}(V)\) étant \(v ↦ P(u)v\).
En une seule occasion, dans le lemme 5.1.16, on rencontrera la notion de semi-module sur un semi-anneau, qui est obtenu en remplaçant les mots anneau et groupe abélien par semi-anneau et monoïde commutatif respectivement.
Lorsque \(A\) n’est pas commutatif, on peut préciser que les modules définis ci-dessus sont des \(A\)-modules à gauche et appeler \(A\)-modules à droite les modules sur \(A^\mathrm {op}\) (l’anneau obtenu à partir de \(A\) en utilisant la multiplication \((a, b) ↦ ba\)).
Un morphisme de \(A\)-modules entre \(M\) et \(M'\) est un morphisme de groupe \(f \! :M → M'\) qui est équivariant pour les actions du monoïde \((A, ×)\) sur \(M\) et \(M'\) :
On dit aussi que \(f\) est une application linéaire de \(M\) dans \(M'\), ou même une application \(A\)-linéaire quand il y a un risque d’ambigüité (par exemple tout \(A\)-module est aussi un \(ℤ\)-module et une application peut-être \(ℤ\)-linéaire sans être \(A\)-linéaire). On note \(\operatorname{Hom}_A(M, M')\) l’ensemble des applications \(A\)-linéaires de \(M\) dans \(M'\), on note \(\operatorname{End}_A(M) = \operatorname{Hom}_A(M, M)\) et \(\operatorname{Aut}_A(M) = \operatorname{End}_A(M)^×\).
Une application entre groupes abéliens est \(ℤ\)-linéaire si et seulement si c’est un morphisme de groupes. Les applications linéaires de l’algèbre linéaire sont bien des applications linéaires au sens des modules. Les applications \(A\)-linéaires de \(A\) dans lui-même sont les homothéties, c’est à dire les applications de la forme \(x ↦ ax\) pour un \(a\) fixé.
Soit \(A\) un anneau et \((M_i)_{i ∈ ℐ}\) une famille de \(A\)-modules. Le produit des \(M_i\) est le groupe abélien \(P = ∏_i M_i\) équipé de la structure de \(A\)-module définie composante par composante : \(∀ a ∈ A, ∀ m ∈ P, ∀ i ∈ ℐ, (am)_i = am_i\). La somme \(\bigoplus _i M_i\) est le sous-module du produit \(P\) constitué des éléments \(m\) tels que \(\{ i \; |\; m_i ≠ 0\} \) est fini. On l’appelle aussi le coproduit des \(M_i\).
produit de modules coproduit de modules Les produits et coproduits de modules vérifient les propriétés universelles analogues à celles de produits et coproduits de groupes. Le produit est muni d’applications linéaires vers ses facteurs et pour construire une application linéaire vers un produit il suffit de donner des applications linéaires vers les facteurs. Le coproduit est muni d’application linéaire depuis ses facteurs et pour construire une application linéaire depuis un coproduit il suffit de donner des applications linéaires depuis les facteurs.
Le cas des produits est clair. Voyons comment la condition de finitude qui intervient dans la définition de la somme assure la propriété universelle. Soit \((Mᵢ)_{i ∈ ℐ}\) une famille de \(A\)-modules. Soit \(N\) un \(A\)-module et \((φᵢ \! :Mᵢ → N)_{i ∈ ℐ}\) une famille d’applications linéaires. Pour tout \(m ∈ \bigoplus _i M_i\), on pose \(φ(m) = ∑_i φᵢ(mᵢ)\). Cette somme n’a un sens que parce que tous les \(mᵢ\) sont nuls sauf un nombre fini.
5.1.2 Sous-modules
Dans un \(𝕂\)-espace vectoriel, les sous-\(𝕂\)-modules sont exactement les sous-\(𝕂\)-espaces vectoriels. Les sous-\(ℤ\)-modules d’un groupe abélien sont exactement ses sous-groupes. Les sous-\(A\)-modules de \(A\) sont exactement ses idéaux. Le singleton \(\{ 0\} \) et le module entier sont des sous-\(A\)-modules.
L’image d’un sous-module par une application linéaire est un sous-module. En particulier l’image d’une application linéaire est un sous-module. La préimage d’un sous-module par une application linéaire est un sous-module. En particulier le noyau d’une application linéaire est un sous-module.
Une intersection de sous-modules est un sous-module. En particulier on a une notion de sous-module engendré par une partie, avec toutes les propriétés habituelles pour les sous-objets engendrés.
Le sous-module engendré par une partie \(S\) est l’ensemble des sommes de la forme \(∑_{s ∈ s} a_s s\) pour une fonction \(a \! :S → A\) à support fini (c’est à dire nulle sauf sur un ensemble fini).
Soit \(A\) un anneau commutatif. Soit \(φ \! :M → M'\) une application \(A\)-linéaire entre \(A\)-modules et \(N\) un sous-module de \(M\). Le lemme 3.1.8 assure que \(φ(N)\) est un sous-groupe de \(M'\). Il reste à voir la stabilité par multiplication scalaire. Soit \(n ∈ N\) et \(a ∈ A\). On \(aφ(n) = φ(an)\) et \(N\) est stable donc \(an ∈ N\) puis \(aφ(n) ∈ φ(N)\).
Soit \(N'\) un sous-module de \(M'\). Le même lemme assure que \(φ⁻¹(N')\) est un sous-groupe de \(M\). Soit \(n ∈ φ⁻¹(N')\) et \(a ∈ A\). On a \(φ(an) = aφ(n)\) et \(N'\) est stable donc \(aφ(n) ∈ N'\) puis \(an ∈ φ⁻¹(N')\).
Soit \(𝒩\) une famille de sous-modules de \(M\). Le lemme 3.1.8 assure que \(N₀ = \bigcap _{N ∈ 𝒩} N\) est un sous-groupe de \(M\). Soit \(n ∈ N₀\) et \(a ∈ A\). Pour tout \(N ∈ 𝒩\), \(n ∈ N\) et \(N\) est stable donc \(an ∈ N\). On a donc \(an ∈ N₀\).
Montrons maintenant la description du sous-module engendré par une partie \(S\) de \(M\). Notons \(N\) l’ensemble de l’énoncé. On a \(S ⊂ N\). De plus la stabilité par multiplication scalaire force \(as ∈ ⟨S⟩\) pour tout \(s ∈ S\) et \(a ∈ A\) puis la stabilité par somme force \(N ⊂ ⟨S⟩\). Ainsi il suffit de montrer que \(N\) est un sous-module de \(M\), ce qui est clair.
Le premier point du lemme ci-dessus peut paraître choquant quand on pense que les sous-\(A\)-modules de \(A\) sont ses idéaux et que l’image directe d’un idéal par un morphisme d’anneau n’est un idéal que pour les morphismes surjectifs en général. Mais ces deux résultats parlent de classes différentes d’applications. Les applications \(A\)-linéaires de \(A\) dans lui-même sont les homothéties et on peut vérifier directement qu’elles envoient les idéaux sur des idéaux. Les applications \(ℤ\)-linéaires de \(A\) dans un autre anneau commutatif \(B\) sont simplement les morphismes de groupes entre \(A\) et \(B\) et les sous-\(ℤ\)-modules sont les sous-groupe de \(A\). Dans ce cas on retrouve l’absence de condition de surjectivité du lemme 3.1.8 concernant l’image d’un sous-groupe.
Ces propriétés se démontrent exactement comme dans le cas particulier des idéaux qui fait l’objet de la proposition 4.3.26. Montrons l’associativité. Soit \(N\), \(N'\) et \(N''\) des sous-modules de \(M\). Vu l’associativité de la réunion, il suffit de montrer que \(N + (N' + N'') = ⟨N ∪ (N' ∪ N'')⟩\) et \((N + N') + N'' = ⟨(N ∪ N') ∪ N''⟩\). Soit \(P\) un sous-module de \(M\).
Donc le sous-module \(N + (N' + N'')\) vérifie la propriété universelle qui caractérise \(⟨N ∪ (N' ∪ N'')⟩\). Le cas de \((N + N') + N''\) fonctionne exactement de la même façon.
Le sous-module nul est neutre car \(N + 0 = ⟨N ∪ 0⟩ = ⟨N⟩ = N\) et de même \(0 + N = N\).
La commutativité découle directement de celle de la réunion puisque, pour tous sous-modules \(N\) et \(N'\), \(N + N' = ⟨N ∪ N'⟩ = ⟨N' ∪ N⟩ = N' + N\).
Plus généralement, on peut définir de même la somme d’une famille quelconque de sous-modules. Cette notion de somme de sous-modules est liée à la somme de modules de la définition 5.1.6. La somme d’un famille de sous-modules est l’image de leur somme en tant que modules abstraits par l’application induite par les inclusions. Pour la suite il suffira de considérer le cas où cette application est injective, c’est l’objet de la définition suivante.
Soit \(A\) un anneau, \(M\) un \(A\)-module et \((Mᵢ)_{i ∈ ℐ}\) une famille de sous-modules de \(M\). On dit que les \(Mᵢ\) sont en somme directe si l’application de \(\bigoplus _i Mᵢ\) dans \(M\) induite par les inclusions est injective. Lorsqu’elle est de plus surjective, on écrit abusivement \(M = \bigoplus _i Mᵢ\). Dans le cas de deux sous-modules \(M₁\) et \(M₂\) tels que \(M = M₁ ⊕ M₂\), on dit que \(M₁\) et \(M₂\) sont supplémentaires l’un de l’autre.
Comme en algèbre linéaire sur un corps, les décompositions en somme directes correspondent à la notion de projecteur.
Soit \(M\) un \(A\)-module. Un projecteur sur \(M\) est une application \(p ∈ \operatorname{End}_A(M)\) telle que \(p ∘ p = p\).
Soit \(M\) un \(A\)-module et \(p ∈ \operatorname{End}_A(M)\) un projecteur. On a \(M = \ker p ⊕ \operatorname{im}p\). Réciproquement si \(M = M₁ ⊕ M₂\) pour des sous-modules \(M₁\) et \(M₂\) alors il existe des projecteurs \(p₁\) et \(p₂\) tels que \(\ker p₁ = M₂\), \(\operatorname{im}p₁ = M₁\), \(\ker p₂ = M₁\), \(\operatorname{im}p₂ = M₂\) et \(\operatorname{Id}_M = p₁ + p₂\).
On a \(M = \ker p + \operatorname{im}p\) car \(∀ m, m = (m - p(m)) + p(m)\) où le premier morceau est dans \(\ker p\) car \(p\) est un projecteur. Montrons que la somme est directe. Soit \(x ∈ \ker p\) et \(z\) tels que \(x + p(z) = 0\). On a \(x = - p(z) = p(-z)\) puis, en appliquant \(p\) et en utilisant que \(x\) est dans \(\ker p\), on obtient \(0 = p(x) = p(p(-z)) = p(-z)\). Ainsi \(p(-z) = 0\) et donc \(x = 0\) et \(p(z) = 0\).
Réciproquement on suppose que \(M = M₁ ⊕ M₂\). La propriété universelle des sommes fournit \(p₁\) et \(p₂\) tels que \(p₁\) coïncide avec l’inclusion sur \(M₁\) et l’application nulle sur \(M₂\) tandis que \(p₂\) coïncide avec l’inclusion sur \(M₂\) et l’application nulle sur \(M₁\). Ces applications conviennent.
Les opérations sur les sous-modules décrites jusqu’ici existent déjà dans le cas des espaces vectoriels. Passons maintenant à une opération qui n’a d’intérêt que lorsque l’anneau des scalaires n’est pas un corps car les seuls idéaux d’un corps sont \(0\) et \(1\) (voir le lemme 4.2.11). Il est donc inutile de chercher ce que le lemme suivant généralise en algèbre linéaire sur un corps.
Soit \(A\) un anneau, \(I ⊲ A\) un idéal, \(M\) un \(A\)-module. Le sous-module engendré par l’ensemble des \(im\) avec \(i ∈ I\) et \(m ∈ M\) est l’ensemble des sommes de tels éléments. On le note \(IM\).
L’opération \(I ↦ (N ↦ IN)\) fait du monoïde des sous-modules de \(M\) un semi-module sur le semi-anneau des idéaux de \(A\).
Le sous-module engendré par les \(im\) contient leurs sommes donc il suffit de montrer que l’ensemble des \(∑_λ i_λ m_λ\) est bien un sous-module. Il s’agit clairement d’un sous-groupe. Pour tout \(a\) dans \(A\) on a \(a∑_λ i_λ m_λ = ∑_λ (ai_λ) m_λ\) et chaque \(ai_λ\) est dans \(I\) car \(I\) est un idéal.
Soit \(I\) un idéal de \(A\) et \(N\) et \(N'\) des sous-modules de \(M\). Pour tout \(i\) dans \(I\), on note \(μ_i ∈ \operatorname{End}_A(M)\) la multiplication par \(i\). Montrons que \(I(N+N')\) vérifie la propriété universelle de \(IN + IN\). Soit \(P\) un sous-module de \(M\).
Ainsi \(I(N+N') = IN + IN'\). On montre de façon analogue que, pour tous idéaux \(I\) et \(J\) dans \(A\) et tout sous-module \(N\) de \(M\), \(I(JN) = (IJ)N\). Le fait que \(0N = 0\) est clair (mais cela ne découle pas immédiatement de l’additivité car les idéaux de \(A\) ne forment pas un groupe). Enfin, pour tout sous-module \(N\), \(1N = N\) car \(N\) est stable par multiplication scalaire donc \(IN ⊂ N\) pour tout \(I\) et \(1N ⊃ μ₁(N) = N\).
Dans le cas où \(M = A^r\), le sous-module \(IM\) du lemme précédent est simplement \(I^r\). Dans le cas où \(A = ℤ\), \(I = ℤ/2ℤ\) et \(M = ℤ/ℤ4\), \(IM = \{ 0, 2\} \).
5.2 Modules quotients et suites exactes courtes
5.2.1 Modules quotients
En algèbre linéaire sur un corps, on peut cacher longtemps l’importance des espaces vectoriels quotients en utilisant que tout sous-espace vectoriel admet un supplémentaire. Au prix de quelques contorsions, un tel supplémentaire peut jouer le rôle d’un quotient. Souvent les premiers espaces vectoriels quotients rencontrés explicitement le sont en cours d’intégration où le sous-espace des fonctions nulles presque partout n’a vraiment pas de supplémentaire agréable dans l’espace des fonctions intégrables. Le quotient, noté \(L¹\), est alors difficile à éviter.
Toujours sur un corps, la dimension finie permet aussi d’éviter les quotients avec une perte d’information limitée. Par exemple la proposition 5.2.2 expliquera entre autres comment toute application linéaire \(φ \! :E → F\) induit un isomorphisme entre \(E/\ker φ\) et \(\operatorname{im}φ\). On en déduit facilement le corollaire \(\dim (E) = \dim (\ker φ) + \dim (\operatorname{im}φ)\) appelé théorème du rang. Il s’agit d’une information bien plus faible mais déjà utile si les dimensions intervenant sont finies.
La notion de module quotient est complètement analogue aux cas des groupes et anneaux.
Un quotient d’un \(A\)-module \(M\) est un \(A\)⁻module \(N\) équipé d’une application \(A\)-linéaire surjective \(π \! :M → N\). On dit que c’est un quotient de \(M\) par un sous-module \(M' ⊂ M\) si \(\ker π = M'\).
Comme une application linéaire est en particulier un morphisme de groupes pour l’addition, un module quotient est en particulier un groupe quotient. La théorie du chapitre 3, particulièrement le lemme 3.3.3 et le théorème 3.3.6, se combine avec le lemme 5.1.10 pour assurer que tout quotient de \(M\) est isomorphe comme groupe abélien à \(M/N\) pour un sous-module \(N\). La proposition suivante assure réciproquement qu’à tout sous-module \(N\) est associé un module quotient, unique à unique isomorphisme près.
module quotient Soit \(A\) un anneau, \(M\) un \(A\)-module et \(N ⊂ M\) un sous-module. Il existe une unique structure de \(A\)-module sur le groupe quotient \(M/N\) qui fasse de \(π \! :M → M/N\) une application \(A\)-linéaire.
Le quotient \(π \! :M → M/N\) vérifie la propriété universelle suivante. Pour toute application \(A\)-linéaire \(φ \! :M → M'\) telle que \(N ⊂ \ker φ\), il existe une unique application \(\barφ\) qui fait commuter M ["φ"] [swap, "π"] M’
M/N [ur, dashed, swap, "∃! φ"] En particulier \(φ\) induit un isomorphisme \(A\)-linéaire de \(M/\ker φ\) dans \(\operatorname{im}φ\).
Pour toute application \(A\)-linéaire \(φ \! :M → M'\) et tout sous-module \(N' ⊂ M'\), tel que \(φ(N) ⊂ N'\), il existe une unique application \(A\)-linéaire \(\hatφ \! :M/N → M'/N'\) qui fait commuter M ["φ"] [swap, "π"] M’ ["π"]
M/N [dashed, swap, "∃! φ"] M’/N’
Le théorème 3.3.6 assure déjà l’existence d’une unique structure de groupe sur \(M/N\) qui fasse de \(π\) un morphisme de groupes. Il s’agit donc de s’occuper de la multiplication scalaire. Soit \(a ∈ A\) et \(μ_a ∈ \operatorname{End}(M)\) la multiplication par \(a\). On veut compléter le diagramme M ["μ_a"] [swap, "π"] M ["π"]
M/N [dashed, swap, "μ_a"] M/N Le corollaire 3.3.13 assure l’unicité de \(\barμ_a\) et donne la condition nécessaire d’existence \(μ_a(N) ⊂ N\) qui est bien vérifié car \(N\) est un sous-module. Il reste à vérifier que \(a ↦ \barμ_a\) est un morphisme d’anneaux de \(A\) dans \(\operatorname{End}(M/N)\). Montrons que, en plus des propriétés de \(a ↦ μ_a\), cela découle de la commutativité du diagramme ci-dessus, de la surjectivité de \(π\) et du fait que \(π\) est un morphisme de groupes. Soit \(a\) et \(b\) dans \(A\). Pour tout \(m\) dans \(M\) on a \(\barμ_{a+b}(π(m)) = π(μ_{a + b}(m)) = π(μ_a(m) + μ_b(m)) = π(μ_a(m)) + π(μ_a(m)) = \barμ_a(π(m)) + \barμ_b(π(m))\). De même \(\barμ_{ab}(π(m)) = π(μ_{ab}(m)) = π(μ_a ∘ μ_b(m)) = \barμ_a(π(μ_b(m))) = \barμ_a(\barμ_b(π(m)))\) et \(\barμ_1(π(a)) = π(μ_1(a)) = π(a)\).
Montrons maintenant la propriété universelle. Soit \(φ \! :M → M'\) une application \(A\)-linéaire telle que \(N ⊂ \ker φ\). Le théorème 3.3.9 assure que \(φ\) descend en morphisme de groupe \(\barφ \! :M/N → M'\). Il reste à vérifier que \(\barφ\) est \(A\)-équivariant. Soit \(m ∈ M\) et \(a ∈ A\). On a \(\barφ(aπ(m)) = \barφ(π(am)) = φ(am) = aφ(m) = a\barφ(π(m))\).
La dernière partie de l’énoncé découle directement de la partie précédente appliquée à \(π ∘ φ\).
Expliquons maintenant en quel sens un éventuel supplémentaire peut jouer le rôle d’un quotient. On verra dans la section suivante que l’existence d’un supplémentaire n’a rien d’automatique.
Soit \(A\) un anneau, \(M\) un \(A\)-module, \(N\) un sous-\(A\)-module de \(M\) et \(π \! :M → M/N\) la projection sur le quotient. On suppose que \(N\) admet un supplémentaire \(N'\). Alors la restriction de \(π\) à \(N'\) est un isomorphisme.
On a \(\ker π|_{N'} = \ker π ∩ N' = N ∩ N' = \{ 0\} \) donc \(π|_{N'}\) est injective. Montrons la surjectivité. Soit \(z ∈ M/N\). Par surjectivité de \(π\), on obtient \(x ∈ M\) tel que \(π(x) = z\). Soit \(p\) et \(p'\) les projecteurs associés à la décomposition \(M = N ⊕ N'\) par le lemme 5.1.15. On a \(π(x) = π(p(x) + p'(x)) = π(p(x)) + π(p'(x)) = π(p'(x))\) car \(\operatorname{im}p = N = \ker π\). Ainsi \(π(p'(x)) = z\) et comme \(p'(x) ∈ N'\), on a bien la préimage cherchée.
Ainsi la construction des modules quotients permet de remplacer l’utilisation d’un supplémentaire. Elle est utile même dans le cas des espaces vectoriels. Au contraire le lemme suivant ne généralise pas un résultat concernant les espaces vectoriels. Il est vraiment spécifique au cas des anneaux car il repose sur la construction du lemme 5.1.16.
Soit \(A\) un anneau, \(I ⊲ A\) un idéal, \(M\) un \(A\)-module. Il existe une unique structure de \(A/I\)-module sur le groupe abélien \(M/IM\) qui fasse commuter A [] [swap, "π"] \operatorname{End}_ℤ(M/IM)
A/I [ur, dashed, swap, "∃!"]
Pour toute application \(A\)-linéaire \(φ \! :M → M'\), il existe une unique application \(A/I\)-linéaire \(\barφ\) qui fait commuter M ["φ"] [swap, "π"] M’ ["π"]
M/IM [dashed, swap, "∃! φ"] M’/IM’ Cette construction est fonctorielle : \(\overline{\operatorname{Id}_M} = \operatorname{Id}_{M/IM}\) pour tout \(M\) et \(\overline{φ ∘ ψ} = \barφ ∘ \barψ\). En particulier si \(φ\) est un isomorphisme alors \(\barφ\) aussi.
On a déjà vu dans la proposition 5.2.2 d’où provient la structure de \(A\)-module sur \(M/IM\). Il s’agit de voir que le morphisme d’anneau \(μ\) de \(A\) dans \(\operatorname{End}_ℤ(M/IM)\) descend de façon unique à \(A/I\). D’après la propriété universelle des anneaux quotients, il suffit de vérifier que \(I ⊂ \ker μ\). Soit \(i ∈ I\) et \(x ∈ M/IM\). Soit \(m ∈ M\) tel que \(x = π(m)\). On a \(μ_i(x) = μ_i(π(m)) = π(μ_i(m)) = 0\) où la dernière égalité provient de \(μ_i(m) ∈ IM\).
Pour la deuxième partie, on considère une application \(A\)-linéaire \(φ \! :M → M'\). On veut la descendre en application \(A\)-linéaire de \(M/IM\) dans \(M'/IM'\). Toujours d’après la même proposition 5.2.2, il s’agit de vérifier que \(φ(IM) ⊂ IM'\). Puisque \(IM'\) est un sous-module, il suffit de vérifier que, pour tout \(i\) dans \(I\) et \(m\) dans \(M\), \(φ(im) ∈ IM'\), ce qui est clair par linéarité de \(φ\). La fonctorialité découle de l’unicité comme d’habitude (voir par exemple la démonstration du corollaire 3.4.5).
Le lemme précédent permet par exemple de fabriquer à partir d’un groupe abélien \(M\) un \(ℤ/pℤ\)-espace vectoriel \(M/pℤM\).
5.2.2 Suites exactes courtes
Nous avons vu dans le lemme 5.2.3 que la construction des modules quotients peut être vu comme généralisation de la notion de supplémentaire d’un sous-module. Dans cette section on étudie dans quels cas cette généralisation est essentielle car un supplémentaire n’existe pas.
Soit \(A\) un anneau commutatif. Une suite exacte de \(A\)-modules est une suite \((Mᵢ)_{i ∈ ℤ}\) de \(A\)-modules munie d’applications \(A\)-linéaires \(fᵢ \! :Mᵢ → Mᵢ₊₁\) telles que
Une suite exacte est courte si elle comporte au plus trois termes \(Mᵢ\) non nuls et que ces termes sont successifs. On écrit une telle suite sous la forme 0 M ["i"] N ["p"] Q 0.
Dans une suite exacte courte 0 M ["i"] N ["p"] Q 0, \(i\) est injective et \(p\) est un quotient de noyau l’image \(i(M)\).
La première flèche est forcément l’application nulle car c’est la seule application \(A\)-linéaire partant du module nul. La condition d’exactitude en \(M\) est donc \(\operatorname{im}0 = \ker i\) donc \(\ker i = 0\). De même la dernière flèche est nulle car c’est la seule application à valeur dans le module nul. La condition d’exactitude en \(Q\) est donc \(\operatorname{im}p = \ker 0\) donc \(\operatorname{im}p = Q\) et \(p\) est surjective. Enfin la condition d’exactitude en \(N\) est exactement \(\ker p = \operatorname{im}i\).
Soit \(A\) un anneau commutatif.
Pour tout sous-module \(M\) d’un \(A\)-module \(N\), on a la suite exacte
0 M [hook] N ["π"] N/M 0.
Pour tous \(A\)-modules \(M₁\) et \(M₂\), on a la suite exacte
0 M₁ ["i₁"] M₁ ⊕ M₂ ["\operatorname{pr}₂"] M₂ 0
où \(i₁ \! :m₁ ↦ (m₁, 0)\) et \(\operatorname{pr}₂ \! :(m₁, m₂) ↦ m₂\).
Le premier exemple ci-dessus est, à isomorphisme près, la seule façon de construire une suite exacte courte. Par contre l’aspect symétrique du second exemple est très spécial, en particulier parce que le module du milieu contient une copie du module de droite. Ainsi la suite exacte 0 nℤ [hook] ℤ ["π"] ℤ/nℤ 0 ne peut pas être de cette forme spéciale car \(ℤ\) ne contient pas de copie de \(ℤ/nℤ\) si \(n ≠ 0\) (\(ℤ\) ne contient aucun élément d’ordre \(n\)). À retenir : en algèbre linéaire sur un corps, utiliser un supplémentaire plutôt qu’un quotient est une simple faute de goût, sur un anneau général ce peut être une erreur cruciale. Cet exemple explique aussi pourquoi \(ℤ/nℤ\) est souvent le premier quotient rencontré explicitement : il n’y a pas de supplémentaire de \(nℤ\) susceptible de le remplacer.
On peut obtenir une caractérisation commode des suites scindées en utilisant les projecteurs (définition 5.1.14).
Soit 0 M ["i"] N ["p"] Q 0 une suite exacte courte. Les propriétés suivantes sont équivalentes :
Dans le lemme ci-dessus, il existe toujours des fonctions \(s\) et \(r\) telles que \(p ∘ s = \operatorname{Id}_Q\) et \(r ∘ i = \operatorname{Id}_M\). Toute la question est de savoir si on peut en trouver qui soient linéaires.
Montrons la suite d’implications \((1) ⇒ (2) ⇒ (3) ⇒ (1)\). Supposons la suite scindée. On a donc un diagramme de la forme
0 M ["i"] [Isom, swap, "ψ₁"] N ["p"] [Isom, swap, "ψ₂"] Q [Isom, swap, "ψ₃"] 0
0 M₁ ["i₁", shift left] M₁ ⊕ M₂ ["\operatorname{pr}₁", shift left] ["\operatorname{pr}₂"] M₂ 0
et on peut poser \(r = ψ₁⁻¹ ∘ \operatorname{pr}₁ ∘ ψ₂\). La relation \(r ∘ i = \operatorname{Id}_M\) découle directement de la commutativité du carré de gauche dans le diagramme et de la relation \(\operatorname{pr}₁ ∘\, i₁ = \operatorname{Id}_{M₁}\) :
Supposons maintenant qu’il existe une rétraction \(r\) de \(i\) et montrons qu’il existe une section de \(p\). Il suffit de montrer que la restriction \(p'\) de \(p\) à \(\operatorname{im}(\operatorname{Id}- i ∘ r)\) est un isomorphisme car alors l’inverse de \(p'\) sera une section de \(p\). On a \(\ker p' = \ker p ∩ \operatorname{im}(\operatorname{Id}- i ∘ r)\). Comme la suite est exacte, \(\ker p = \operatorname{im}i\). Ainsi tout élément \(x\) de \(\ker p ∩ \operatorname{im}(\operatorname{Id}- i ∘ r)\) s’écrit comme \(i(m)\) et \(m' - i(r(m'))\) pour des éléments \(m\) et \(m'\) de \(M\). En appliquant \(r\) à l’égalité \(i(m) = m' - i(r(m'))\) et en utilisant l’hypothèse \(r ∘ i = \operatorname{Id}\) on obtient \(m = r(m') - r(m')\) donc \(m\) puis \(x\) sont nuls. Ainsi \(\ker p' = 0\). Montrons maintenant que \(p'\) est surjective. Soit \(q ∈ Q\). Comme la suite est exacte, \(p\) est surjective donc on obtient \(n ∈ N\) tel que \(p(n) = q\). On a alors \(p(n - i ∘ r(n)) = p(n) - p ∘ i ∘ r(n) = p(n) = q\) car la suite est exacte donc \(p ∘ i = 0\). Ainsi \(q\) est dans l’image de \(p'\).
Enfin supposons que \(s\) existe et montrons que la suite est scindée. On a \((s ∘ p)² = s ∘ p ∘ s ∘ p = s ∘ \operatorname{Id}∘ p = s ∘ p\). Le lemme 5.1.15 assure alors que \(N = \ker (s ∘ p) ⊕ \operatorname{im}(s ∘ p)\). Comme \(p ∘ s = \operatorname{Id}\), \(s\) est injective donc \(\ker (s ∘ p) = \ker p\). Ce dernier est égal à \(\operatorname{im}i\) car la suite de départ est exacte. Ainsi \(\ker (s ∘ p) = \operatorname{im}i\). De plus \(p\) est surjective donc \(\operatorname{im}(s ∘ p) = \operatorname{im}s\). En rassemblant les morceaux on obtient \(N = \operatorname{im}i ⊕ \operatorname{im}s\) et donc un isomorphisme \(i ⊕ s \! :M ⊕ Q → N\) qui fournit le diagramme 0 M ["i"] [Isom, swap, "\operatorname{Id}"] N ["p"] [Isom, swap, "(i ⊕ s)⁻¹"] Q [Isom, "\operatorname{Id}", swap] 0
0 M ["i₁"] M ⊕ Q ["\operatorname{pr}₂"] Q 0 qui est bien de la forme annoncée.
Remarque: la démonstration ci-dessus économise un maximum d’implications mais on peut aussi montrer directement toutes les autres avec des démonstrations très analogues.
5.3 Modules libres
5.3.1 Définition, existence et unicité
Les modules libres sont ceux qui admettent une base, ce qui n’est pas automatique lorsque l’anneau des scalaires n’est pas un corps. Dans la définition suivante, la base est l’application \(ι\).
module libre Soit \(S\) un ensemble et \(A\) un anneau commutatif. Un \(A\)-module libre sur \(S\) est un \(A\)-module \(M\) muni d’une application \(ι \! :S → M\) qui vérifie la propriété universelle suivante : pour tout \(A\)-module \(M'\) et toute fonction \(f\) de \(S\) dans \(M'\), il existe une unique application \(A\)-linéaire \(\bar f \! :M → M'\) tel que \(f = \bar f ∘ ι\).
S ["f"] [swap, "ι"] M’
M [ur, dashed, swap, "∃! f"]
Soit \(𝕂\) un corps, \(E\) un \(𝕂\)-espace vectoriel et \(e \! :\{ 1, \dots , n\} → E\) une base de \(E\). Alors \((E, e)\) est un module libre sur \(\{ 1, \dots , n\} \) comme on le verra dans le corollaire 5.3.4. Pour tout anneau commutatif \(A\), \(A^n\) muni de la base canonique est un module libre sur \(\{ 1, \dots , n\} \) comme on le verra dans l’exemple 5.3.6.
Pour tout anneau, le seul module \(M\) libre sur l’ensemble vide est le module nul car sinon l’identité de \(M\) la fonction nulle de \(M\) dans \(M\) sont deux applications \(A\)-linéaires distinctes qui font commuter l’unique diagramme pertinent (on rappelle qu’il existe exactement une fonction du vide dans \(M\)).
Soit \(n\) un entier strictement positif. Montrons que le \(ℤ\)-module \(ℤ/nℤ\) n’est pas libre. Supposons que \(ι : S → ℤ/nℤ\) est une base de \(ℤ/nℤ\). L’exemple précédent montre que \(S\) n’est pas vide. Soit \(s₀ ∈ S\). Soit \(f\) une fonction de \(S\) dans \(ℤ\) qui envoie \(s₀\) sur \(1\) et soit \(\bar f\) l’extension promise par la propriété universelle de \(ι\). On a \(\bar f(nι(s₀)) = n\bar f(ι(s₀)) = nf(s₀) = n\). Or \(nι(s₀) = 0\) donc \(\bar f(nι(s₀)) = 0\) et on a une contradiction. Cet exemple sera généralisé dans le lemme 5.3.19.
On fait maintenant le lien avec la notion de combinaison linéaire.
Soit \(S\) un ensemble et \((M, ι)\) un \(A\)-module libre sur \(S\). Tout élément de \(M\) s’écrit de façon unique comme \(∑_{s ∈ S} a_s ι(s)\) pour une fonction \(a \! :S → A\) à support fini (la somme a donc bien un sens).
Réciproquement, pour tout un \(A\)-module \(M\) et tout \(ι \! :S → M\), si tout élément de \(M\) s’écrit de façon unique comme \(∑_{s ∈ S} a_s ι(s)\) pour une fonction \(a \! :S → A\) à support fini alors \((M, ι)\) est un \(A\)-module libre sur \(S\).
Montrons d’abord que \(ι(S)\) engendre \(M\). La projection canonique de \(M\) sur \(M/⟨ι(S)⟩\) et le morphisme nul entre ces modules étendent tous deux la fonction nulle de \(S\) dans \(M/⟨ι(S)⟩\). Par unicité dans la propriété universelle, ces deux morphismes sont égaux. Or la projection est surjective donc \(M/⟨ι(S)⟩ = \{ 0\} \).
Soit \(x\) un élément de \(M\). Le paragraphe précédent et le lemme 5.1.10 assurent l’existence d’une écriture de \(x\) comme annoncé. Supposons maintenant que \(x\) s’écrive \(∑_{s ∈ S} a_s ι(s)\) et \(∑_{s ∈ S} b_s ι(s)\) pour deux fonctions \(a\) et \(b\) à support fini. Pour tout \(s\) dans \(S\), on considère la fonction \(δ_s \! :S → A\) qui vaut un en \(s\) et zéro ailleurs. On note \(Δ_s\) son extension à \(M\) promise par la propriété universelle. En appliquant \(Δ_s\) aux deux sommes on obtient \(a_s = b_s\).
Réciproquement, supposons maintenant que \((M, ι)\) vérifie cette condition d’écriture unique. Soit \(M'\) un \(A\)-module et \(f\) une fonction de \(S\) dans \(M'\). Montrons d’abord l’unicité de \(\bar f\) car cela aidera pour l’existence. Soit \(x ∈ M\). Par hypothèse on peut écrire \(x = ∑_s a_s ι(s)\). On calcule :
Donc la valeur de \(\bar f(x)\) est uniquement spécifiée par nos contraintes.
Pour l’existence de \(\bar f\), on peut utiliser l’unicité de l’écriture comme somme pour définir \(\bar f\) par la formule ci-dessus. Il reste à montrer qu’on obtient bien une application linéaire. Soit \(x\) et \(y\) dans \(M\). Comme \((M, +)\) est abélien, on peut écrire \(x + y = ∑_s (a_s + b_s)ι(s)\) et calculer :
La compatibilité avec la multiplication par un scalaire est encore plus directe.
Soit \(𝕂\) un corps et \(S\) un ensemble. Un \(𝕂\)-espace vectoriel libre sur \(S\) est un \(𝕂\) espace vectoriel équipé d’une base indexée par \(S\). En particulier tout \(𝕂\)-espace vectoriel est libre.
La proposition précédente reste valable pour les semi-modules libres sur un semi-anneau commutatif. La démonstration ne nécessite aucune modification si ce n’est que nous n’avons pas défini les quotients de monoïdes commutatifs (il y a une soustraction cachée dans la définition des quotients de groupes abéliens). On peut se contenter de la deuxième partie qui est celle qui sert en pratique, ou bien construire ces quotients. Le point clef est que la bonne relation à associer à un sous-monoïde commutatif \(M'\) d’un monoïde commutatif \(M\) est définie par \(x ∼ x'\) s’il existe \(y\) et \(y'\) dans \(M'\) tels que \(x + y = x' + y'\).
La réciproque dans la proposition précédente fournit nos premiers exemples de modules libres sur un anneau quelconque.
Pour tout entier naturel \(n {\gt} 0\), le module \(Aⁿ\) est libre sur \(\{ 1, \dots , n\} \) via la « base canonique » qui envoie chaque \(i\) sur le \(n\)-uplet \(eᵢ\) dont toutes les composantes sont nulles sauf la \(i\)-ème qui vaut un. La propriété universelle de cette base appliquée au module \(Aᵖ\) pour un autre entier \(p\) fournit une bijection entre les applications \(A\)-linéaires de \(Aⁿ\) dans \(Aᵖ\) et les fonctions de \(\{ 1, \dots , n\} \) dans \(Aᵖ\). Cet ensemble de fonction est lui-même en bijection avec l’ensemble des fonctions de \(\{ 1, \dots , n\} × \{ 1, \dots , p\} \) dans \(A\) (par décurryfication, comme dans la discussion suivant la définition 3.2.1). On retrouve ainsi la correspondance entre matrices de taille \((n, p)\) à coefficients dans \(A\) et applications \(A\)-linéaires de \(Aⁿ\) dans \(Aᵖ\) comme cas particulier de la propriété universelle des modules libres.
L’exemple ci-dessus est limité aux ensembles finis mais il s’agit d’un obstacle psychologique, la démonstration de la proposition suggère la construction générale suivante.
Pour tout ensemble \(S\), on note \(A[S]\) l’ensemble des fonctions à support fini de \(S\) dans \(A\) muni de l’addition et la négation ponctuelles et de fonction nulle comme élément neutre. On note \(δ\) la fonction de \(S\) dans \(A[S]\) qui envoie \(s\) sur le Dirac en \(s\), c’est à dire la fonction qui envoie \(s'\) sur \(1\) si \(s = s'\) et zéro sinon.
Pour tout ensemble \(S\), \(A[S]\) muni de \(δ \! :S → A[S]\) est un \(A\)-module libre sur \(S\).
La vérification des axiomes de module pour \(A[S]\) est immédiate à partir des axiomes de module de \(A\). La proposition 5.3.3 assure le reste.
On appelle souvent \(A[S]\) le \(A\)-module libre sur \(S\) ou, de façon plus imagée, « le \(A\)-module librement engendré par \(S\) ». Comme d’habitude, cet abus est justifié par le fait que la propriété universelle entraîne une caractérisation à unique isomorphisme près :
Soit \(S\) un ensemble et \(A\) un anneau commutatif. Si \((M, ι)\) et \((M', ι')\) sont deux \(A\)-modules libres sur \(S\) alors il existe un unique isomorphisme de \(M\) vers \(M'\) qui fait commuter S [dl, swap, "ι"] [dr, "ι’"]
M [rr, Isom, swap, dashed, "∃!"] M’
On a aussi l’analogue suivant du corollaire 3.4.5.
Pour toute application \(f\) entre ensembles \(S\) et \(S'\), il existe une unique application \(A\)-linéaire \(A[f] \! :A[S] → A[S']\) telle que
S ["f"] [swap, "δ"] S’ ["δ"]
A[S] [r, dashed, swap, outer sep=1ex, "∃! A[f]"] A[S’]
De plus \(A[\operatorname{Id}_S] = \operatorname{Id}_{A[S]}\) et, pour toute fonction \(g \! :S' → S''\), \(A[g ∘ f] = A[g] ∘ A[f]\).
Pour obtenir \(A[f]\), on applique la propriété universelle de \(A[S]\) à l’application \(δ ∘ f \! :S → A[S']\). Comme \(\operatorname{Id}_{A[S]} ∘ ι = ι ∘ \operatorname{Id}_S\), l’unicité dans la propriété universelle assure \(A[\operatorname{Id}_S] = \operatorname{Id}_{A[S]}\). Pour la formule de composition, on contemple le diagramme suivant
S ["f"] [swap] S’ ["g"] S”
A[S] [swap, "A[f]"] A[S’] [swap, "A[g]"] A[S”]
Comme les deux carrés commutent, le grand rectangle commute. L’unicité dans la définition de \(A[g ∘ f]\) assure alors que \(A[g ∘ f] = A[g] ∘ A[f]\).
monoïde commutatif libre groupe abélien libre Pour tout ensemble \(S\), il existe un groupe abélien libre sur \(S\) et un monoïde commutatif libre sur \(S\).
Il suffit d’appliquer les résultats de cette section à \(A = ℤ\) et à \(A = ℕ\) respectivement, en utilisant la remarque 5.3.5 pour ce dernier cas.
Montrons maintenant que la liberté est liée à la question de l’existence de supplémentaires.
Soit 0 M ["i"] N ["p"] Q 0 une suite exacte courte de \(A\)-modules. Si \(Q\) est libre alors la suite est scindée.
D’après le lemme 5.2.9, il suffit de construire une section de \(p\). S ["ι"] [dl, "σ", swap]
0 M ["i"] N ["p", shift left, near end] Q ["s", shift left] 0 Par hypothèse, il existe un ensemble \(S\) et \(ι \! :S → Q\) tel que \((Q, ι)\) est libre sur \(S\). Comme \(p\) est surjectif, on obtient une fonction \(σ \! :S → N\) telle que \(p ∘ σ = ι\). La propriété universelle de \(Q\) donne \(s \! :Q → N\) telle que \(σ = s ∘ ι\). On a \(p ∘ s ∘ ι = p ∘ σ = ι\) et, comme \(i(S)\) engendre \(Q\) et que \(p ∘ s\) est linéaire, \(p ∘ s = \operatorname{Id}_Q\).
5.3.2 Rang d’un module libre
On veut maintenant étendre la théorie de la dimension des espaces vectoriels aux modules libres généraux en se ramenant au cas déjà connu. L’ingrédient crucial est la proposition 4.2.14 qui affirme que tout anneau commutatif non trivial admet un quotient qui est un corps, ce qui permettra de transformer les anneaux en corps. Pour faire suivre les modules libres, on utilisera le lemme suivant.
Soit \(A\) un anneau commutatif, \(I ⊲ A\) et \(S\) un ensemble. Pour tout \(A\)-module \((M, i)\) libre sur \(S\), \((M/IM, π ∘ i)\) est libre sur \(A/I\).
Soit \(N\) un \(A/I\) module et \(φ \! :S → N\) une fonction. Comme \(N\) est un \(A/I\)-module, c’est aussi un \(A\)-module. Par liberté de \((M, i)\), \(φ\) s’étend en application \(A\)-linéaire \(\tildeφ \! :M → N\). S ["φ"] [swap, "i"] N
M [ur, dashed, "∃! φ"] [swap, "π"]
M/IM [uur, dashed, swap, bend right=20, "∃! φ"] Pour montrer que \(\tildeφ\) descend à \(M/IM\), il suffit de montrer que, pour tout \(i ∈ I\) et \(m ∈ M\), \(\tildeφ(im) = 0\) (car \(IM\) est engendré par ces éléments). Or \(\tildeφ\) est \(A\)-linéaire donc \(\tildeφ(im) = i\tildeφ(m)\) qui est nul car l’action scalaire de \(A\) sur \(N\) passe par \(A/I\). L’unicité s’obtient comme d’habitude en composant les unicités des deux propriétés universelles utilisées (voir par exemple la démonstration de la proposition 3.7.3).
Voici maintenant l’extension promise de la théorie de la dimension.
Soit \(A\) un anneau commutatif non trivial et \(S\) et \(S'\) deux ensembles. Deux \(A\)-modules libres \((M, i)\) et \((M', i')\) sur \(S\) et \(S'\) respectivement sont isomorphes si et seulement si \(S\) et \(S'\) ont même cardinal.
Plus généralement s’il existe une application linéaire injective (resp. surjective) de \(M\) dans \(M'\) alors \(♯S ≤ ♯S'\) (resp. \(♯S ≥ ♯ S'\)).
Si \(φ \! :S → S'\) est une bijection alors on obtient un isomorphisme entre \(M\) et \(M'\) par le corollaire 5.3.10.
Réciproquement supposons que \(φ \! :M → M'\) soit un isomorphisme linéaire. Soit \(I\) un idéal maximal de \(A\) fournit par la proposition 4.2.14, de sorte que \(A/I\) est un corps d’après le lemme 4.2.12. Le lemme 5.1.16 fournit un isomorphisme \(A/I\)-linéaire \(\barφ \! :M/IM → M'/IM'\). Or le lemme 5.3.13 assure que \(M/IM\) et \(M'/IM'\) sont des \(A/I\)-modules libres sur \(S\) et \(S'\). Le corollaire 5.3.4 assure donc que ce sont des \(A/I\)-espaces vectoriels de dimension \(♯S\) et \(♯S'\). On conclut par le théorème de la dimension.
De même si \(φ\) est injective (resp. surjective) alors \(\barφ\) est injective (resp. surjective) et on conclut encore par la théorie de la dimension.
On peut définir la notion de module libre sur un anneau non commutatif mais la proposition précédente n’est plus plus vraie en général. Par exemple on peut montrer que les « matrices » à coefficients dans un anneau commutatif ayant une infinité dénombrable de lignes et de colonnes mais dont chaque colonne n’a qu’un nombre fini d’entrées non nulles forment un anneau \(A\) qui vérifie que toutes les puissances finies non nulles de \(A\) sont deux à deux isomorphes en tant que \(A\)-modules.
Soit \(A\) un anneau commutatif intègre. Les sous-\(A\)-modules libres de rang \(1\) dans \(A\) sont exactement les idéaux principaux non nuls de \(A\). L’idéal nul est le seul sous-module de rang \(0\) dans \(A\).
5.3.3 Torsion
Le but de cette section est d’introduire une obstruction à la liberté appelée torsion. On verra dans la section suivante que la torsion est la seule obstruction à la liberté pour les modules ayant une famille génératrice finie lorsque l’anneau des scalaires est principal.
On commence par remarquer que si un anneau commutatif n’est pas intègre alors il n’admet aucun module libre non nul. Dans toute cette section, \(A\) est un anneau commutatif et intègre.
Soit \(A\) un anneau commutatif et intègre. Soit \(M\) un \(A\)-module. La partie de torsion de \(M\) est
Les éléments de \(\operatorname{Tor}(M)\) sont appelés éléments de torsion de \(M\). On dit que \(M\) est de torsion si \(\operatorname{Tor}(M) = M\) et sans torsion si \(\operatorname{Tor}(M) = 0\).
En cas de doute sur l’anneau sous-jacent, on utilise la notation \(\operatorname{Tor}_A(M)\). Par exemple on peut toujours considérer \(\operatorname{Tor}_ℤ(M)\). L’intégrité ne sert à rien dans la définition ci-dessus mais elle est cruciale dans le lemme suivant.
Soit \(A\) un anneau commutatif et intègre. Soit \(M\) un \(A\)-module.
\(\operatorname{Tor}(M)\) est un sous-module de \(M\).
\(M/\operatorname{Tor}(M)\) est sans torsion.
Montrons d’abord que \(\operatorname{Tor}(M)\) est un sous-groupe de \(M\) en appliquant le lemme 3.1.8. Il contient \(0\) car \(A\) est intègre donc non trivial donc \(1 ≠ 0\) dans \(A\) et \(1 \cdot 0 = 0\) dans \(M\). Soit \(x\) et \(y\) dans \(\operatorname{Tor}(M)\) et soit \(a\) et \(b\) non nuls dans \(A\) tels que \(ax = by = 0\). On a \(ab(x - y) = 0\) et \(ab ≠ 0\) car \(A\) est intègre, donc \(x - y\) est dans \(\operatorname{Tor}(M)\). Montrons maintenant que \(\operatorname{Tor}(M)\) est stable sous l’action scalaire. Soit \(x\) dans \(\operatorname{Tor}(M)\) et \(a\) dans \(A\) non nul tel que \(ax = 0\). Pour tout \(b\) dans \(A\) on a \(a(bx) = b(ax) = 0\) donc \(bx\) est dans \(\operatorname{Tor}(M)\).
Montrons maintenant que \(M/\operatorname{Tor}(M)\) est sans torsion. Soit \(x\) dans \(M\) et \(a\) dans \(A\) non nul tel que \(aπ(x) = 0\) . Comme \(π\) est \(A\)-linéaire, \(π(ax) = aπ(x) = 0\), donc \(ax\) est dans \(\operatorname{Tor}(M)\). On obtient donc \(b\) non nul dans \(A\) tel que \(bax = 0\). Comme \(A\) est intègre, \(ab\) n’est pas nul donc \(x\) est de torsion et donc \(π(x) = 0\).
Voyons maintenant que, comme promis, la torsion est une obstruction à la liberté.
Soit \(M\) un module sur un anneau commutatif intègre \(A\). Si \(M\) est libre alors il est sans torsion.
Soit \(S\) un ensemble et \(i\! :S → M\) tel que \((M, i)\) est libre sur \(S\). Soit \(m\) non nul dans \(M\). On sait par la proposition 5.3.3 que \(m = ∑_s a_s i(s)\) pour une fonction \(a \! :S → A\) à support fini et non nulle. Soit \(s₀\) tel que \(a_{s₀} ≠ 0\). Soit \(b\) dans \(A\) tel que \(bm = 0\). On a donc \(∑_s ba_s i(s) = 0\). Par unicité de ces décompositions, tous les \(ba_s\) sont nuls. En particulier \(ba_{s₀} = 0\). Comme \(A\) est intègre et \(a_{s₀} ≠ 0\), on en déduit que \(b\) est nul.
5.4 Modules de type fini
Le but de cette dernière section est de voir ce qu’il reste du théorème de structure des espaces vectoriels. Nous avons déjà vu qu’il est inutile d’espérer l’existence de bases car la torsion est une obstruction. Le mieux qu’on puisse espérer pour un module \(M\) est donc de trouver un supplémentaire libre au sous-module de torsion \(\operatorname{Tor}(M)\). C’est effectivement ce que donnera le théorème 5.4.9 dans le cas des modules ayant une partie génératrice finie sur un anneau principal. Dans le cas des \(ℤ\)-modules nous donnerons une classification complète.
5.4.1 Cas général
On commence par quelques points qui ne nécessitent aucune hypothèse sur \(A\).
Un module \(M\) sur un anneau commutatif \(A\) est de type fini si et seulement si il est quotient d’un \(A\)-module libre sur un ensemble fini.
Supposons \(M\) de type fini. Soit \(S ⊂ M\) un ensemble fini qui engendre \(M\). La propriété universelle du module libre \(A[S]\) étend l’inclusion en application linéaire dont l’image contient \(S\) donc contient \(M\).
Réciproquement si \((N, i)\) est libre sur \(S\) fini et \(π \! :N → M\) est surjective alors \(π(i(S))\) est fini et engendre \(M\).
Le lemme suivant garantit qu’un module libre de type fini est bien ce qu’on croit et permet de parler indifféremment de module libre de type fini et de module libre de rang fini.
Un module libre est de type fini si et seulement si son rang est fini.
Soit \((M, i \! :S → M)\) un module libre sur un anneau commutatif \(A\). Si \(M\) est de rang fini alors il est clairement de type fini. Réciproquement, supposons que \((N, j \! :T → N)\) est un module libre sur un ensemble fini \(T\) et qu’on a une application linéaire surjective \(π \! :N → M\). La proposition 5.3.14 assure \(♯S ≤ ♯T\) donc \(S\) est fini.
5.4.2 Cas des anneaux principaux
Soit \(A\) un anneau commutatif principal et \(M\) un \(A\)-module libre de type fini. Tout sous-module \(M'\) de \(M\) est libre de rang inférieur à celui de \(M\).
On raisonne par récurrence sur le rang \(r\) de \(M\). Le cas \(r = 0\) correspond au module trivial dont tous les sous-modules sont triviaux donc libres de rang zéro. Supposons le résultat démontré pour tous le modules libres de rang \(r\). Soit \(M\) un \(A\)-module libre de rang \(r+1\). On considère une suite exacte de \(A\)-modules 0 A ["i"] M ["p"] Q 0 où \(Q\) est libre de rang \(r\). Une telle suite existe car, d’après la proposition 5.3.14, tous les \(A\)-modules libres de même rang sont isomorphes donc on peut supposer que \(M = A^{r+1}\) et choisir \(i\! :a → (a, 0, \dots , 0)\) et \(p\) la projection sur les \(r\) dernières coordonnées.
Soit \(N\) un sous-module de \(M\). Le sous-module \(p(N)\) est libre de range au plus \(r\) dans \(Q\) par hypothèse de récurrence. Le sous-module \(E = i⁻¹(N)\) dans \(A\) est un idéal de \(A\). Comme \(A\) est principal, \(E\) est libre de rang au plus un. On a la suite exacte 0 E ["i|_E"] N ["p|_N"] p(N) 0 Comme \(p(N)\) est libre, le corollaire 5.3.12 assure que cette suite est scindée donc \(N\) est isomorphe à \(E ⊕ p(N)\) qui est libre de rang au plus \(r+1\).
Dans le proposition précédente, l’hypothèse que \(A\) est principal est indispensable. D’abord l’intégrité est indispensable car tout diviseur de zéro non nul engendre un sous-module de \(A\) qui n’est pas libre. Supposons donc que \(A\) est intègre. \(A\) est un \(A\)-module libre de rang \(1\) et ses sous-module sont ses idéaux, qui sont libres de rang inférieur à \(1\) précisément s’ils sont principaux.
Soit \(M\) un module de type fini sur un anneau commutatif principal \(A\). Tout sous-module de \(M\) est de type fini.
Par hypothèse, on obtient un module libre \(L\) de rang fini et une application linéaire surjective \(π \! :L → M\). Soit \(N\) un sous-module de \(M\). Le sous-module \(π⁻¹(N)\) est libre de rang fini d’après la proposition 5.4.4. Comme \(π\) est surjective, \(N = π(π ⁻¹(N))\) donc \(N\) est bien l’image d’un module libre de rang fini.
Là encore l’hypothèse que \(A\) est principal est indispensable et, comme pour tous les énoncés ayant cette hypothèse dans cette section, on peut trouver des contre-exemples en rang \(1\), c’est à dire avec \(M = A\). On verra dans le chapitre suivant comment construire des anneaux de polynômes avec un ensemble quelconque d’indéterminées, par exemple \(ℤ[X₁, X₂, \dots ]\) avec une infinité dénombrable d’indéterminées. Dans cet anneau, l’idéal engendré par tous les \(Xᵢ\) n’est pas de type fini.
On peut maintenant démontrer comme promis que, dans le cas des modules de type finis sur un anneau principal, la torsion est l’unique obstruction à la liberté.
Soit \(M\) un module sur un anneau commutatif principal \(A\). Si \(M\) est de type fini alors il est libre si et seulement si il est sans torsion.
Le lemme 5.3.19 assure déjà la première implication, sans hypothèse sur \(A\). Supposons donc que \(M\) est sans torsion et montrons qu’il est libre. Par hypothèse on obtient un ensemble fini \(S\) et une fonction \(ι \! :S → M\) dont l’image engendre \(M\) (dans toute cette démonstration, « engendre » est toujours entendu dans le contexte des sous-modules). Soit \(T\) une partie maximale de \(S\) telle que \(ι(T)\) est libre, c’est à dire que \((⟨ι(T)⟩, ι)\) est libre sur \(T\). Une telle partie existe car \((⟨ι(∅)⟩, ι)\) est libre et \(S\) est fini. On pose \(N = ⟨ι(T)⟩\).
Montrons que, pour tout \(s\) dans \(S\), il existe \(a\) dans \(A ∖ \{ 0\} \) tel que \(aι(s)\) est dans \(N\). Soit \(s\) dans \(S\). Si \(s\) est dans \(T\) on utilise \(a = 1\) (qui est bien non nul car \(A\) est principal donc non trivial). Sinon, \(a\) provient de la maximalité de \(T\). En effet si aucun \(a\) ne convenait alors \(ι(s)\) engendrerait un sous-module libre de rang un qui serait en somme directe avec \(N\).
On fixe un élément \(a_s\) comme ci-dessus pour tout \(s\) et on pose \(a = \prod _s a_s\). Comme \(A\) est intègre, \(a\) n’est pas nul. Comme \(M\) est sans torsion, l’homothétie \(φ \! :m → am\) est une application linéaire injective de \(M\) dans \(M\). Montrons que son image est contenue dans \(N\). Comme cette image est un sous-module et que \(M\) est engendré par \(ι(S)\), il suffit de montrer que \(φ(ι(S))\) est dans \(N\). Soit \(s\) dans \(S\). On a
Ainsi \(φ\) est un isomorphisme de \(M\) sur un sous-module \(φ(M)\) de \(N\). Comme \(N\) est libre, la proposition 5.4.4 assure que \(φ(M)\) est libre donc \(M\) l’est aussi.
Tous les énoncés précédents se combinent maintenant pour donner le théorème de classification grossière promis en introduction de cette section.
Soit \(A\) un anneau commutatif principal et \(M\) un \(A\)-module. Si \(M\) est de type fini alors
De plus \(M/\operatorname{Tor}(M)\) est sans torsion et les deux morceaux sont de type fini.
On a la suite exacte 0 \operatorname{Tor}(M) [hook] M ["π"] M/\operatorname{Tor}(M) 0 et \(M/\operatorname{Tor}(M)\) est sans torsion d’après le lemme 5.3.18. La proposition 5.4.8 assure donc que \(M/\operatorname{Tor}(M)\) est libre. Le corollaire 5.3.12 en déduit que la suite est scindée donc on a bien l’isomorphisme annoncé. Enfin \(M/\operatorname{Tor}(M)\) est de type fini car il est quotient de \(M\) qui est de type fini et le corollaire 5.4.6 montre que \(\operatorname{Tor}(M)\) est de type fini, car c’est un sous-module de \(M\).
Dans le théorème précédent il faut prendre garde au fait que l’image de \(M/\operatorname{Tor}(M)\) dans \(M\) n’est pas unique. Il n’y a pas de supplémentaire naturel au sous-module \(\operatorname{Tor}(M)\). Le théorème ne fait qu’énoncer l’existence d’un supplémentaire et le fait qu’un tel supplémentaire est libre et de type fini.
5.4.3 Cas des groupes abéliens
On se concentre maintenant sur le cas des groupes abéliens (les \(ℤ\)-modules). Vu le théorème précédent, la compréhension des groupes abéliens de type finis est complètement ramenée à celle des groupes abéliens finis. Cette question sera complètement réglée par le théorème ci-dessous, dont la démonstration occupe toute la fin de ce chapitre.
Soit \(G\) un groupe abélien fini non trivial. Il existe un unique entier \(N {\gt} 0\) et un unique \(N\)-uplet \((d₁, \dots , d_N)\) d’entiers tels que
- \[ G ≃ \prod _{i = 1}^N ℤ/dᵢℤ \]
\(∀ i,\, dᵢ {\gt} 1\)
\(∀ i {\lt} N,\, dᵢ \mid dᵢ₊₁\)
Les entiers \(dᵢ\) sont appelés les facteurs invariants de \(G\).
Dans toute la fin de ce chapitre, \(G\) est un groupe abélien fini (noté additivement). On cherche à comprendre la structure de \(G\) par récurrence forte sur le cardinal de \(G\). Le point clef est de démontrer, pour tout \(G\) non trivial, l’existence d’un sous-groupe cyclique \(H ≤ G\) non trivial et tel que \(0 → H → G → G/H → 0\) est scindée. On peut alors appliquer l’hypothèse de récurrence à \(G/H\).
Cette stratégie ne fonctionne pas du tout dans le cas des modules de type fini sur un anneau principal quelconque parce que les modules de type fini de torsion n’ont aucune raison d’être de cardinal fini en général. Le théorème de classification s’étend tout de même mais la démonstration est bien plus technique.
Pour identifier un sous-groupe \(H\) convenable, on observe l’énoncé du théorème. On remarque que l’entier \(d_N\) est le plus petit entier \(n\) qui vérifie \(∀ x ∈ G, nx = 0\) (à cause des relations de divisibilité). Cela motive la définition suivante, et les lemmes qui suivront.
Il n’est pas complètement évident que l’exposant d’un groupe fini est fini mais cela découle du lemme suivant. La notation \(\exp \) n’est pas vraiment standard (il n’y a pas de notation standard). On rappelle que l’ordre d’un élément \(x\) est noté \(o(x)\).
Soit \(G\) un groupe abélien fini.
\(\exp (G) = \operatorname{ppcm}_{x ∈ G} o(x)\). En particulier \(\exp (G) \; |\; ♯G\).
\(\exp (G) = \max _{x ∈ G} o(x)\). En particulier il existe \(x\) tel que \(o(x) = \exp (G)\).
Soit \(x\) dans \(G\). L’application de \(ℤ\) dans \(G\) qui envoie \(n\) sur \(nx\) est un morphisme, son noyau est donc un sous-groupe de \(ℤ\) donc de la forme \(mℤ\). Ce morphisme a pour image le sous-groupe engendré par \(x\) donc \(ℤ/mℤ ≃ ⟨x⟩\) et donc \(m = o(x)\), par définition de \(o(x)\). De plus \(nx = 0\) si et seulement si \(n\) est dans \(o(x)ℤ\), c’est à dire que \(n\) est un multiple de \(o(x)\). Ainsi \(\exp (G)\) est bien le plus petit multiple commun à tous les \(o(x)\). Or on sait d’après le théorème de Lagrange (corollaire 3.2.13) que tous les \(o(x)\) divisent \(♯G\) donc leur ppcm aussi.
Montrons maintenant le deuxième point. Comme \(\exp (G)\) et les \(o(x)\) sont positifs, la divisibilité entraîne l’inégalité donc le premier point assure que \(o(x) ≤ \exp (G)\) pour tout \(x\). Montrons qu’il existe \(x\) tel que \(o(x) = \exp (G)\). Soit \(𝒫 \) l’ensemble des nombres premiers qui interviennent dans la décomposition en produit de facteurs premier de \(\exp (G)\) (qui est non nul par définition). On a \(\exp (G) = \prod _{p ∈ 𝒫} p^{r_p}\) et le premier point assure que, pour tout \(p ∈ 𝒫\), \(r_p = \max _{x ∈ G} v_p(o(x))\) où \(v_p(n)\) désigne le plus grand entier \(k\) tel que \(p^k\) divise \(n\). Pour chaque \(p\) on fixe un \(x_p\) tel que \(r_p = v_p(o(x_p))\). Ainsi \(o(x_p) = p^{r_p}q_p\) pour un entier \(q_p\) premier à \(p\). On déduit \(o(q_px_p) = p^{r_p}\). On pose \(x = \sum _p q_p x_p\). Comme les \(p^{r_p}\) sont premiers entre eux, \(x\) est bien d’ordre \(\exp (G)\).
Un groupe abélien fini \(G\) est cyclique si et seulement si \(\exp (G) = ♯G\).
Le sous-groupe cyclique apparaissant dans la stratégie de démonstration du théorème sera engendré par un élément réalisant l’exposant du groupe. Le lemme suivant permettra de montrer que la suite exacte associée est scindée.
Soit \(G\) un groupe abélien fini et \(x\) un élément de \(G\) tel que \(o(x) = \exp (G)\). La suite exacte 0 ⟨x⟩ [hook, "i"] G ["π"] G/⟨x⟩ 0 est scindée.
Dans le lemme précédent, l’hypothèse \(o(x) = \exp (G)\) est cruciale. Par exemple, dans \(G = ℤ/4ℤ\), \(x = 2\) est d’ordre \(2\) qui n’est pas \(\exp (G)\), et la suite exacte correspondante n’est pas scindée car \(G\) n’est pas isomorphe à \(ℤ/2ℤ × ℤ/2ℤ\).
D’après le lemme 5.2.9, il suffit de trouver une rétraction de l’inclusion \(i\) de \(⟨x⟩\), c’est-à-dire un morphisme de \(G\) dans \(⟨x⟩\) qui est l’identité sur \(⟨x⟩\). Plus progressivement, montrons par récurrence que, pour tout sous-groupe \(H\) de \(G\) contenant \(⟨x⟩\), il existe une rétraction de l’inclusion de \(⟨x⟩\) dans \(H\). Le cas \(H = ⟨x⟩\) est clair. Il suffit donc de considérer un sous-groupe \(H\) contenant \(⟨x⟩\) et muni d’une rétraction \(r \! :H → ⟨x⟩\), et un élément \(y\) de \(G\) qui n’est dans \(H\) et de montrer que \(r\) s’étend en morphisme \(r'\) de \(H + ⟨y⟩\) dans \(⟨x⟩\). Un tel morphisme sera automatiquement une rétraction de \(i\) puisque que cette propriété ne dépend que de la restriction de \(r'\) à \(⟨x⟩\) et que \(r'\) étend \(r\).
Le groupe \(⟨y⟩ ∩ H\) est un sous-groupe du groupe cyclique fini \(⟨y⟩\) donc il est engendré par \(βy\) pour certain \(β\) divisant \(o(y)\). Comme \(βy\) est dans \(H\), on peut considérer \(r(βy)\), qui est de la forme \(αx\) pour un certain \(α\).
L’affirmation clef où l’hypothèse \(o(x) = \exp (G)\) va servir est que \(β\) divise \(α\). Soit \(β'\) l’entier tel que \(o(y) = β'β\). On note que \(β'\) ne saurait être nul puisqu’on aurait sinon \(o(y) = 0\), ce qui contredirait que \(y\) n’est pas dans \(H\). On calcule \(β'αx = β'r(βy) = r(β'βy) = r(o(y)y) = r(0) = 0\). Donc \(o(x) \mid β'α\). Or \(o(x) = \exp (G)\) donc \(β'β\), qui vaut \(o(b)\), divise \(o(x)\). Ainsi \(β'β \mid β'α\). Comme \(β'\) n’est pas nul, on obtient bien \(β \mid α\).
Soit \(n\) l’entier tel que \(α = nβ\). Le sous-groupe \(H + ⟨y⟩\) est un quotient de \(H × ℤ\) via le morphisme \(π \! :(h, l) ↦ h + ly\). Soit \(φ \! :H × ℤ → ⟨x⟩\) le morphisme qui envoie \((h, l)\) sur \(r(h) + lnx\). Montrons que \(φ\) descend au quotient en extension de \(r\). La condition de descente du théorème 3.3.9 est \(\ker π ⊂ \ker φ\). Soit \((h, l)\) tel que \(h + ly = 0\). En particulier \(ly\) est dans \(H\) donc \(l\) s’écrit sous la forme \(kβ\). On calcule \(φ(h, l) = r(h) + lnx = r(-kβy) + kβnx = -kαx + kαx = 0\). On obtient donc bien un morphisme \(r' \! :H + ⟨y⟩ → ⟨x⟩\). Montrons qu’il étend \(r\). Soit \(h\) dans \(H\). On a \(r'(h) = r'(π(h, 0)) = φ(h, 0) = r(h)\).
Comme le verra plus loin, le lemme précédent est suffisant pour décomposer tout groupe abélien fini comme produit de groupes cycliques. Pour étudier l’unicité dans la décomposition obtenue, on va utiliser le lemme suivant (qui n’est pas spécifique aux groupes abéliens).
Soit \(G\), \(H\) et \(H'\) des groupes finis. Si \(G × H\) est isomorphe à \(G × H'\) alors \(H\) est isomorphe à \(H'\).
Pour tous groupes finis \(G₁\) et \(G₂\), on note \(m(G₁, G₂)\) le nombre de morphismes de \(G₁\) dans \(G₂\) et \(i(G₁, G₂)\) le nombre de ceux qui sont injectifs. On a \(m(G₁, G₂) ≥ 1\) puisque l’application constante de valeur \(1\) est un morphisme. Pour calculer \(m(G₁, G₂)\) on regroupe les morphismes par noyau. Le premier théorème d’isomorphisme (corollaire 3.3.12) montre que
On revient maintenant au lemme. Supposons que \(G × H\) et \(G × H'\) sont isomorphes. Montrons d’abord que, pour tout groupe fini \(L\), \(m(L, H) = m(L, H')\). Soit \(L\) un groupe fini. La propriété universelle du produit de groupe (exemple 3.1.16) et l’hypothèse d’isomorphisme assurent que
Comme \(m(L, G)\) est non nul, on obtient \(m(L, H) = m(L, H')\)
Montrons que, pour tout groupe fini \(L\), \(i(L, H) = i(L, H')\). On raisonne par récurrence forte sur \(♯L\). Le cas \(♯L = 0\) est trivial car tout groupe est de cardinal au moins un. Soit \(L\) un groupe fini. Supposons la formule établie pour tous les groupes de cardinal strictement inférieur à \(♯L\). On utilise l’équation 1 pour \((L, H)\) et \((L, H')\), en mettant à part les morphismes injectifs, qui correspondant au sous-groupe distingué trivial :
et
On a vu que les membres de gauche des ces deux équations sont égaux. Chaque terme de la première somme est égal au terme correspondant de la seconde somme par hypothèse de récurrence puisque les sous-groupes \(N\) sont non triviaux donc \(♯L/N {\lt} ♯L\). Ainsi on a bien \(i(L, H) = i(L, H')\).
En particulier \(i(H, H') = i(H', H') ≥ 1\) donc il existe un morphisme injectif \(φ \! :H → H'\). Or \(H\) et \(H'\) sont finis et de même cardinal puisque \(♯G\, ♯H = ♯(G × H) = ♯(G × H') = ♯G\, ♯H'\) et \(♯G ≥ 1\). Donc \(φ\) est bijective. C’est donc un isomorphisme d’après le lemme 3.1.3.
Nous avons maintenant tous les ingrédients pour démontrer le théorème de classification.
On démontre le théorème par récurrence forte sur \(♯G\). Supposons que \(G\) n’est pas trivial et que le résultat est établi pour tous les groupes abéliens de cardinal strictement inférieur à \(♯G\).
Le lemme 5.4.13 fournit \(x₀\) tel que \(o(x₀) = \exp (G)\). Comme \(G\) n’est pas trivial, \(\exp (G) {\gt} 1\) donc \(♯(G/⟨x₀⟩) {\lt} ♯G\). L’hypothèse de récurrence appliquée à \(G/⟨x₀⟩\) fournit donc un entier \(N'\) et des entiers \(d₁\), …, \(d_{N'}\) comme dans l’énoncé. Le lemme 5.4.15 assure que la suite exacte associée à ce quotient est scindée donc
On pose \(N = N' + 1\) et \(d_N = \exp (G)\). Il ne reste qu’à expliquer pourquoi \(d_{N'} ∣ d_N\). Soit \(y\) un générateur du facteur \(ℤ/d_{N'}ℤ\). On a \(o(y) = d_{N'}\) et \(o(y) ∣ \exp (G)\) donc \(d_{N'} ∣ d_N\).
Montrons maintenant l’unicité. Supposons qu’on ait deux telles décompositions
On a alors \(d_N = \exp (G) = d'_{N'}\). Le lemme 5.4.17 donne donc un isomorphisme
L’unicité dans l’hypothèse de récurrence assure que \(N-1 = N'-1\) et que \(dᵢ = d'ᵢ\) pour tout \(i {\lt} N\).
Une fois connu le théorème de classification, le théorème 4.3.30 des restes Chinois montre qu’il existe aussi une décomposition de la forme
où les \(pᵢ\) sont des nombres premiers (pas distincts en général). On peut montrer que cette décomposition est unique modulo permutation. Il existe un algorithme pour passer de la décomposition en termes de nombres premiers aux facteurs invariants. Le plus simple est de le voir fonctionner sur un exemple. Considérons deux nombres premiers \(p\) et \(q\) et le groupe
On écrit les puissances de \(p\) et \(q\) en lignes croissantes avec répétitions, alignées à droite puis on fait les produits de chaque colonne pour obtenir les \(dᵢ\).
La décomposition en facteurs invariants de \(G\) est