3 Groupes
3.1 Définitions, morphismes et sous-objets
Définition
3.1.1
Un groupe est un monoïde dans lequel tous les éléments sont inversibles. Lorsque la loi de composition est commutative, on dit que le groupe est abélien.
Un morphisme entre deux groupes et est une fonction telle que, pour tous et dans , (on montrera plus bas que c’est automatiquement un morphisme de monoïdes).
L’exemple le plus fondamental de groupe est l’ensemble des permutations d’un ensemble . Plus généralement, l’ensemble des unités d’un monoïde forme toujours un groupe.
Si on déplie toutes les définitions intervenant dans la définition de groupe, on voit qu’un groupe est un ensemble muni d’une loi de composition interne qu’on notera multiplicativement pour cette discussion, d’un élément et d’une fonction de dans lui même tel que :
la multiplication est associative :
est neutre à gauche :
est neutre à droite :
est une inversion à gauche : .
est une inversion à droite : .
Il existe de nombreuses variantes équivalentes de la liste ci-dessus. La variante choisie est très symétrique et donne d’emblée toute la structure, ce qui permet d’éviter les empilements de quantificateurs qui arrivent quand et ne sont pas introduits a priori et que les axiomes au-delà de l’associativité se transforment en
Cette variante peut sembler plus symétrique car elle ne fixe pas de choix de et mais c’est une illusion comme le montre le lemme suivant qu’on pourra parfois utiliser pour raccourcir certaines vérifications (mais ce genre de raccourci n’est jamais indispensable et le lemme suivant est surtout une curiosité dont la lecture n’est vraiment pas indispensable).
Lemme
3.1.2
Soit un ensemble muni d’une loi de composition interne associative. Si
alors il existe un unique et une unique fonction tels que muni de sa loi de composition, de et de est un groupe.
Preuve
▼
Fixons promis par la condition. Montrons d’abord que
Soit dans . Par hypothèse sur appliquée à on obtient tel que . Par hypothèse sur appliquée à on obtient tel que . On calcule alors, en utilisant aussi que et l’associativité,
Montrons maintenant . Soit . On obtient par hypothèse un tel que et le paragraphe précédent assure qu’on a aussi . On calcule alors .
On en déduit immédiatement l’unicité de . En effet si convient aussi, la propriété de donne et le paragraphe précédent donne .
Montrons que, . Soit dans . On a déjà l’existence de . Supposons que convient aussi. On a alors qu’on multiplie à gauche à par pour obtenir . On obtient ainsi une unique fonction d’inversion.
Au vu de ce lemme, on peut être tenté de radiner sur les axiomes dans la définition de groupe. Les lecteurs et lectrices tentés par cette mesquinerie sont invités à s’auto-punir en essayant de montrer que, pour tout ensemble non vide muni d’une loi de composition interne et d’une fonction , il existe tel que est un groupe si et seulement si
Le lemme suivant liste quelques propriétés fondamentales des morphismes de groupes. On pourrait argumenter que les deux premiers items pourraient faire partie de la définition plutôt que de radiner mais cela permet de souligner le contraste avec les propriétés des morphismes multiplicatifs en général.
Lemme
3.1.3
Soit un morphisme de groupes.
( est donc un morphisme de monoïdes)
.
est injectif si et seulement si où, par définition, .
Si est bijectif alors est automatiquement un morphisme de groupes. On dit alors que est un isomorphisme entre et .
Preuve
▼
Pour le premier point, on commence par noter que donc on obtient . Comme est inversible (car tous les éléments de le sont), il est simplifiable à gauche d’après le lemme 2.0.4 donc . Ainsi est un morphisme de monoïdes donc le lemme 2.0.7 et le premier point règlent les deuxième et quatrième points.
Montrons le troisième point. Soit et dans . On a
donc est injectif si et seulement si . Ainsi si alors est injective. Réciproquement si est injective alors et on peut spécialiser cet énoncé à pour obtenir , c’est à dire .
On note l’ensemble des isomorphismes d’un groupe dans lui-même. Il s’agit d’une groupe pour la structure induite par (on reverra dans un instant la notion de sous-groupe).
Définition
3.1.6
Un sous-groupe d’une groupe est une partie de telle que :
Autrement dit est un sous-monoïde de qui est stable par inversion. On note alors .
La définition ci-dessus est écrite pour assurer que la structure de groupe sur se restreint en structure de groupe sur . Le premier point du lemme suivant donne un critère qui est parfois plus commode à vérifier.
Lemme
3.1.8
Soit et des groupes, , et un morphisme.
Si alors . En particulier .
Si alors . En particulier .
L’intersection d’une famille de sous-groupes de est un sous-groupe de .
Preuve
▼
Dans le premier point, l’implication de la gauche vers la droite est claire. Supposons maintenant que n’est pas vide et que pour tous et dans , est dans . La première hypothèse fournit . La deuxième assure alors que , c’est à dire . Soit dans . Comme , on obtient donc . Soit et dans . Comme est aussi dans , on obtient donc .
Pour les autres points, il suffit d’appliquer le lemme 2.0.13 concernant les monoïdes en vérifiant en plus la stabilité par inversion.
Soit un sous-groupe de et . Comme , .
Soit un sous-groupe de et . Comme et que est stable par inversion, est dans .
Soit une famille de sous-groupe de et l’intersection des éléments de . Soit . Pour tout , est dans , donc est dans .
Le second point du lemme ci-dessus et le dernier point de l’exemple 3.1.5 expliquent en quel sens les groupes de permutations sont les exemples fondamentaux.
Corollaire
3.1.9
Tout groupe est isomorphe à un sous-groupe d’un groupe de permutations, via les translations à gauche qui envoient injectivement dans .
Définition
3.1.10
Le sous-groupe engendré par une partie d’un groupe est l’intersection de tous les sous-groupes de contenant :
Si , on dit que engendre , ou bien que est une partie génératrice de . On dit que est cyclique s’il est engendré par un singleton.
Le lemme suivant rassemble les propriétés formelles des sous-groupes engendrés.
Lemme
3.1.12
sous-groupe engendré Soit une partie d’un groupe .
est un sous-groupe de qui contient .
Pour tout , (ainsi est le plus petit sous-groupe de qui contient ). Cette propriété universelle caractérise .
L’application est croissante : .
Pour tout morphisme , .
Preuve
▼
C’est exactement la même démonstration que pour le lemme 2.0.16 car cette dernière a été rédigé de façon suffisamment abstraite.
Comme dans le cas des sous-monoïdes, on a aussi une description explicite.
Lemme
3.1.13
Soit une partie d’un groupe . Les éléments du sous-groupe engendré par sont tous les produits (finis) d’éléments de et d’inverses d’éléments de :
où le cas correspond au produit vide, c’est à dire au neutre de .
Preuve
▼
L’ensemble du membre de droite contient par définition et il est stable par multiplication et inversion. C’est donc un sous-groupe qui contient . De plus tout sous-groupe contenant contient nécessairement car il doit contenir et et être stable par produit et inversion. Donc vérifie la propriété universelle de donc d’après le lemme précédent.
Définition
3.1.14
L’ordre d’un groupe est son cardinal. L’ordre d’un élément d’un groupe est l’ordre du sous-groupe qu’il engendre.
3.2 Actions de groupes
Définition
3.2.1
Une action (à gauche) d’un groupe sur un ensemble est un morphisme de dans .
Soit une action de sur . Il est parfois commode de penser en terme de la fonction décurryfiée qui envoie sur (par exemple si et sont munis d’une structure topologique, on peut parler de continuité de sans avoir à discuter de quelle topologie on munit ). Mais ce point de vue rend beaucoup moins élégant l’écriture de la définition, il faut demander, pour tous , et , plutôt que d’écrire simplement .
Lorsque le contexte est clair, on omet souvent le symbole désignant le morphisme et les parenthèses indiquant l’application de fonction, on écrit simplement plutôt que . La définition prend alors l’allure d’une règle d’associativité : pour tous , et , . On écrit aussi pour dire « agit sur » ou pour introduire une action de sur .
Soit un groupe, on note le groupe obtenu en munissant l’ensemble de la loi de composition interne définie par pour tous et dans . On vérifie sans peine qu’il s’agit d’un groupe, avec le même neutre et la même fonction d’inversion. On l’appelle groupe opposé de . Une action à droite de sur un ensemble est une action à gauche de sur . Soit une telle action, on a alors, pour tous , et , . On voit donc qu’il faut écrire l’élément agissant à droite pour retrouver une règle d’associativité : . On utilise la notation pour dire que agit à droite sur . On notera que l’inversion est un morphisme de dans et que donc on peut toujours convertir une action à gauche en action à droite et vice-versa en précomposant par l’inversion. Dans toute la suite, quand on écrira « action » sans précision, il s’agira toujours d’une action à gauche. Tous les énoncés généraux sur les actions de groupes sont valables, mutatis mutandis, pour les actions à droite, la démonstration consistant à appliquer l’énoncé au groupe opposé.
Définition
3.2.3
Soit un groupe agissant sur un ensemble et un élément de .
L’orbite de sous l’action de est , parfois noté simplement ou (quand le groupe n’est pas clair d’après le contexte) ou .
Le stabilisateur de est , parfois noté .
Le fixateur d’un élément de est , parfois noté .
La diversité des notations dans la définition précédente est un peu désagréable mais elle provient directement de l’ubiquité de ces notions. En écriture manuscrite on évitera d’utiliser simultanément et .
Lemme
3.2.5
Soit une action de groupe. Une partie de est stable sous l’action de tous les éléments de si et seulement si elle est invariante sous l’action de tous les éléments de .
Preuve
▼
Si est invariante alors elle est stable car . Réciproquement supposons . Soit dans . On a mais aussi donc , c’est à dire . Ainsi par double inclusion.
Lemme
3.2.6
Le stabilisateur d’un point est un sous-groupe du groupe qui agit.
Preuve
▼
Soit un élément de . Le stabilisateur contient car agit comme . Soit et dans . On a donc donc . De plus donc . On remarque que le critère du lemme 3.1.8 n’aide pas ici car il n’y a pas de moyen plus simple de vérifier que est non vide que de vérifier qu’il contient ni de façon de montrer que sans montrer que .
Lemme
3.2.7
Si , les stabilisateurs et sont conjugués par : . En particulier ils ont même cardinal.
Définition
3.2.8
Soit une action de groupe. On dit que cette action est :
libre si , autrement dit, ou encore ;
fidèle si est injective, autrement dit, ou encore ;
transitive s’il existe tel que . De façon équivalente, l’action est transitive si .
L’observation suivante est très facile mais fondamentale.
Proposition
3.2.10
Soit un groupe agissant sur un ensemble . La relation sur définie par s’il existe tel que est une relation d’équivalence. On note le quotient (ou dans le cas d’une action à droite).
Preuve
▼
La relation est réflexive car, pour tout , . Elle est symétrique car, pour tous et tels que , on obtient tel que et on alors . Elle transitive car pour tous , et tels que et , on obtient et tels que et et on a alors .
On notera qu’il est possible de définir la notion d’action pour des structures algébriques plus faibles que les groupes comme les monoïdes, mais la proposition ci-dessus utilise toute la structure de groupe. Par exemple le corollaire suivant serait faux pour les actions de monoïdes (avec le même contre-exemple que dans la remarque 3.1.4, vu comme action de sur ).
Corollaire
3.2.11
Les orbites d’une action de groupe forment une partition. De plus, pour tous et , .
Preuve
▼
Les orbites sont les classes d’équivalence de la relation associée à l’action.
Proposition
3.2.12
Soit un sous-groupe d’un groupe . Pour tout section , c’est à dire tout fonction telle que , l’application de dans qui envoie sur est une bijection.
Preuve
▼
Montrons l’injectivité. Soit et tels que . On a et est dans donc donc , c’est à dire puisque . L’égalité se réécrit donc et on en déduit . Ainsi .
Montrons maintenant la surjectivité. Soit dans . On pose . Comme , on a donc on obtient tel que .
Notons qu’on peut aussi expliciter l’inverse de cette application, il s’agit de , mais cela ne rend pas la démonstration plus claire.
Corollaire
3.2.13
Théorème de Lagrange
Pour tout sous-groupe d’un groupe , . En particulier le cardinal de divise celui de . En particulier, pour tout , et donc .
Preuve
▼
Il suffit d’appliquer la proposition précédente à une section de fournie par l’axiome du choix (bien sûr dans le cas où est fini cet axiome n’est pas nécessaire ici).
Définition
3.2.14
L’indice d’un sous-groupe est le cardinal de , noté . On a donc d’après le théorème de Lagrange.
Lemme
3.2.15
Soit un groupe agissant sur un ensemble . Pour tout , on a
Preuve
▼
Il suffit de dérouler les définitions. Les trois premières lignes du calcul suivant ne sont pas spécifiques au cas des actions de groupe.
Définition
3.2.16
Soit un groupe, et des ensembles. Étant donnée une action de sur , on dit qu’une fonction est -invariante si, pour tous et , . Dans ce cas descend en fonction de dans . quotient par une action de groupe
Si aussi est muni d’une action de , on dit que est -équivariante si, pour tous et , . Dans ce cas descend en application de dans .
Le théorème fondamental suivant relie l’action de sur lui-même par translation à droite et son action sur .
Théorème
3.2.19
Pour tout , on considère l’action de sur par translation à droite. L’application de dans qui envoie sur descend au quotient en bijection . En particulier .
Preuve
▼
On a vu dans le théorème 1.0.5 qu’il suffit de vérifier que, et que est surjective de dans . La surjectivité provient directement de la définition de . Montrons la première condition. Soit et dans . On a :
Corollaire
3.2.20
Équation aux classes
Soit un groupe fini agissant sur un ensemble fini . Soit une section de la projection (c-à-d une application telle que ). On a l’équation aux classes :
et chaque terme de la somme est un entier. En particulier, si agit librement sur alors .
Preuve
▼
Le lemme 1.0.17, qui lie quotients et partitions, et la description de la relation d’équivalence associée à une action assure que les forment une partition de donc puis le théorème 3.2.19 donne la formule annoncée.
Le théorème suivant est une réciproque partielle du théorème de Lagrange. Il en existe de nombreuses démonstrations. Nous utiliserons l’équation aux classes et le lemme arithmétique suivant.
Lemme
3.2.22
Soit un nombre premier et un entier naturel. Si n’est pas divisible par alors le coefficient binomial ne l’est pas non plus.
Preuve
▼
On commence par donner une démonstration sophistiquée puis on expliquera une démonstration artisanale. Pour tout et dans on a . Cette observation classique dans le cas de sera généralisée pour inclure notamment le cas de dans le lemme 7.4.8. On peut donc calculer donc le coefficient de dans ce polynôme est . Par ailleurs la formule du binôme de Newton assure que ce coefficient est aussi . Ainsi on a dans . Par hypothèse l’image de dans n’est pas nulle donc celle de non plus.
Donnons maintenant une démonstration élémentaire qui reste dans . Pour tous entiers naturels et avec , on a
Pour et , on obtient
Pour tout , on écrit où et sauf pour où et . Dans tous les cas . On a alors . On pose et on observe que ne divise pas . En effet, si on a donc et ne divise pas tandis que dans le cas , et c’est notre hypothèse sur .
Ainsi la grande équation ci-dessus devient
où ne divise aucun des donc, comme est premier, ne divise pas non plus le coefficient binomial.
Théorème
3.2.23
Premier théorème de Sylow
Soit un groupe fini et un nombre premier. On écrit avec . Il existe un sous-groupe de cardinal . On dit que est un -Sylow de .
Preuve
▼
On note l’ensemble des parties de de cardinal . Cet ensemble est de cardinal . On considère l’action de sur induite par l’action par translation à gauche de sur lui-même, comme dans l’exemple 3.2.2. Comme les bijections préservent le cardinal, cette action se restreint en action de sur . Soit une section du quotient. L’équation aux classes montre que est la somme des entiers pour parcourant le quotient. D’après le lemme 3.2.22, le cardinal de n’est pas divisible par . Donc, pour au moins un , n’est pas divisible par . Posons pour un tel et . On a donc et . Comme est premier, on en déduit . Or agit sur et, comme l’action de sur est libre, l’action de sur l’est aussi. Donc par le cas particulier de l’équation aux classes. Or par définition de . Donc et finalement par antisymétrie de la relation de divisibilité sur . Ainsi est un -Sylow de . On notera le coup de théâtre : le -Sylow n’est pas trouvé comme élément de mais comme stabilisateur d’un tel élément.
Théorème
3.2.24
Formule de Burnside
Soit un groupe fini agissant sur un ensemble fini . On a la formule de Burnside :
Preuve
▼
On procède par double décompte de l’ensemble . En comptant par « tranches verticales », c’est à dire à fixé, on obtient
Pour le décompte par tranches horizontales, on va en plus regrouper les tranches par orbites sous l’action de . On calcule en utilisant le théorème 3.2.19 :
et on conclut en comparant les deux décomptes.
La formule de Burnside a de nombreuses applications amusantes en combinatoire, il y aura des exemples en TD.
3.3 Quotients de groupes et groupes quotients
Définition
3.3.1
Un quotient d’un groupe est un groupe muni d’un morphisme surjectif de dans .
Lemme
3.3.3
Soit un quotient de groupe. Soit le quotient associé à l’action par translation à droite du sous-groupe sur . Il existe une unique bijection telle que .
Preuve
▼
D’après le corollaire 1.0.8, il suffit de montrer que et induisent la même relation d’équivalence sur . Comme est un morphisme, la relation induite par peut se réécrire en si (c’est le même calcul que dans la démonstration du critère d’injectivité du lemme 3.1.3). On peut encore récrire cela comme , ce qui est bien la relation associée à l’action par translation à droite par , et donc à .
Dans le lemme précédent, il n’y a pas de structure de groupe sur mais on peut transporter la structure de via , en définissant le produit comme , le neutre comme et l’inversion comme . On obtient ainsi une structure de groupe telle que est un morphisme. Il est donc naturel de se demander si, pour tout sous-groupe , il existe une structure de groupe sur qui fasse de un morphisme de groupe. Il s’agit d’une idée trop optimiste en général, il faut imposer une condition sur .
Définition
3.3.4
On dit qu’un sous-groupe d’un groupe est distingué s’il est stable sous l’action par conjugaison de tous les éléments de : . On note alors .
Vu le lemme 3.2.5, si et seulement si il est invariant sous l’action par conjugaison de tous les éléments de : . Autrement dit, si et seulement si (pour les actions par translation à gauche et à droite de sur ).
Théorème
3.3.6
Soit un groupe et un sous-groupe de . Il existe une structure de groupe sur qui fasse de la projection un morphisme de groupes si et seulement si . Cette structure est alors unique et est le noyau de la projection.
Preuve
▼
Le lemme 2.0.9 assure que possède une structure de monoïde qui fasse de un morphisme de monoïdes si et seulement si la loi de composition interne sur est compatible avec la relation d’équivalence produit sur , et que cette structure de monoïde est alors unique. On obtient donc le critère :
Supposons la condition ??. Soit dans et dans . On spécialise à , , et on obtient . Or on a supposé et est un sous-groupe donc contient . On obtient donc . Ainsi est distingué.
Réciproquement supposons et montrons la condition ??. Soit , , et tels que et . On a :
Donc la loi de composition descend au quotient.
Il reste à voir qu’on obtient une structure de groupe et pas seulement une structure de monoïde. Comme est un morphisme de monoïde, elle envoie les inversibles de sur des inversibles de d’après le lemme 2.0.7. Or tous les éléments de sont inversibles et est surjective donc tous les éléments de sont inversibles. Remarquons qu’il est instructif de vérifier directement que la fonction d’inversion sur descend au quotient.
Lemme
3.3.7
Soit et deux groupes, et un morphisme.
Preuve
▼
La clef est que, pour tout , . Soit . Le lemme 3.1.8 assure que est un sous-groupe de . Soit . On a
donc .
Supposons maintenant que est surjective et . Le lemme 3.1.8 assure que est un sous-groupe de . Soit dans . Par surjectivité de , on obtient tel que . On calcule
en utilisant la formule clef et l’hypothèse .
Corollaire
3.3.8
Une partie d’un groupe est un sous-groupe distingué si et seulement si il existe un groupe et un morphisme tel que .
Preuve
▼
D’après le théorème 3.3.6, si alors convient, avec comme morphisme la projection canonique. La réciproque est donnée par la première partie du lemme 3.3.7.
Théorème
3.3.9
Propriété universelle des groupes quotients
groupe quotient Soit un sous-groupe distingué d’un groupe . Pour tout morphisme tel que , il existe un unique morphisme tel que .
On a alors
Réciproquement, si existe alors .
Preuve
▼
Soit tel que . D’après la propriété universelle des quotients d’ensembles (théorème 1.0.5), l’unicité est acquise et pour l’existence il suffit de vérifier que, pour tout et dans , . Soit et tels que . On a et on a donc . On obtient ainsi l’existence de . Le lemme 2.0.9 assure qu’il s’agit d’un morphisme. On étudie maintenant le noyau de . On calcule :
et on obtient la conclusion annoncée en appliquant et le lemme 1.0.18 qui assure que .
En particulier est injectif si et seulement si . Or on sait déjà que donc (en utilisant encore le lemme 1.0.18). Ainsi
où la dernière équivalence provient encore de l’hypothèse .
La condition de surjectivité provient directement du théorème 1.0.5, il n’y a rien de spécifique à la théorie des groupes ici.
Le fait que la condition annoncée est nécessaire à l’existence de provient aussi de ce théorème et du premier paragraphe de cette démonstration.
Le corollaire suivant est immédiat et extrêmement utile. On l’appelle souvent le premier théorème d’isomorphisme quand il est associé à deux autres énoncés moins cruciaux qui seront vus en TD.
Corollaire
3.3.11
Premier théorème d’isomorphisme
Tout morphisme de groupe induit un unique isomorphisme .
□
Corollaire
3.3.12
Soit et des sous-groupes distingués dans des groupes et . Soit un morphisme. Si alors descend en un unique morphisme de dans .
On a alors
Preuve
▼
On applique le théorème 3.3.9 à , en notant que donc la condition à vérifier est , ce qui équivaut à .
Supposons cette condition vérifiée, de sorte qu’on obtient un unique . Le théorème assure que , c’est à dire par le calcul ci-dessus, et il assure que est injectif si et seulement si . Puisqu’on a déjà supposé , cette dernière condition est équivalente à .
Le théorème assure aussi la première équivalence ci-dessous :
Théorème
3.3.13
Théorème de correspondance des sous-groupes
Soit un groupe et . On note la projection de sur . L’ensemble des sous-groupes de qui contiennent est en bijection croissante avec l’ensemble des sous-groupes de par l’application , de réciproque . De plus .
Preuve
▼
Le lemme 3.1.8 assure que, pour tout , donc l’application est bien définie dans le sens direct. Soit . La préimage est une sous-groupe de d’après le lemme 3.1.8. De plus donc , c’est à dire et l’application réciproque est bien définie aussi.
Il reste à calculer leurs composées. Pour tout , on a d’après le lemme 1.0.18.
Soit tel que . On calcule
Montrons que est distingué si et seulement si l’est. Si est distingué, le lemme 3.3.7 montre que est distingué car est surjective.
Réciproquement supposons que est distingué. En plus du résultat établi ci-dessus, le premier point clef est que, pour tout dans , . Le second est que, comme est distingué, pour tout dans , contient . Soit dans . On calcule :
Lemme
3.3.15
Une intersection de sous-groupes distingués d’un groupe est un sous-groupe distingué.
Preuve
▼
Le lemme 3.1.8 assure déjà qu’une telle intersection est un sous-groupe. La stabilité par conjugaison est claire car l’image directe d’une intersection par une bijection est l’intersection des images directes.
Définition
3.3.16
Le sous-groupe distingué engendré par une partie d’un groupe est l’intersection de tous les sous-groupes distingués contenant . C’est un sous-groupe distingué d’après le lemme précédent, on le note .
Lemme
3.3.17
sous-groupe distingué engendré Soit une partie d’une groupe .
est un sous-groupe distingué de qui contient .
.
Pour tout , (ainsi est le plus petit sous-groupe distingué de qui contient ). Cette propriété universelle caractérise .
L’application est croissante : .
Pour tout morphisme , .
est l’ensemble des produits (finis) de conjugués des éléments de et de leurs inverses.
Preuve
▼
C’est exactement la même démonstration que pour les lemmes 3.1.12 et 3.1.13. Le seul point qui n’est pas un analogue est le fait que mais cela découle directement de la propriété universelle de puisque que et est un sous-groupe.
3.4 Abélianisation
Définition
3.4.1
Soit un groupe. Le commutateur de deux éléments et de est . Le sous-groupe dérivé de est le sous-groupe engendré les commutateurs d’éléments de . On le note ou .
La terminologie « commutateur » provient du fait que et commutent si et seulement si .
Lemme
3.4.2
Soit un groupe et un morphisme de groupes.
Preuve
▼
Le premier point est un calcul direct. Soit l’ensemble des commutateurs d’éléments de et celui de . Par définition, et . On a donc par le lemme 3.1.12. Or d’après le premier point donc , par un autre point du lemme 3.1.12.
Montrons maintenant le troisième point. Soit dans . Le premier point appliqué à la conjugaison montre que et le même résultat pour montre l’inclusion réciproque donc . On a donc .
Définition
3.4.3
L’abélianisé d’un groupe est le groupe quotient .
Proposition
3.4.4
abélianisation L’abélianisé d’un groupe est un groupe abélien. Pour tout morphisme à valeur dans un groupe abélien, il existe un unique morphisme tel que où est la projection de sur .
Preuve
▼
Pour montrer que est abélien, il suffit de montrer que, pour tous et dans , et commutent. Or d’après le lemme 3.4.2.
Soit un morphisme à valeurs dans un groupe abéliens. On veut descendre au quotient . D’après la propriété universelle des groupes quotients (théorème 3.3.9), il suffit de vérifier que . Comme est un sous-groupe, il suffit de vérifier que les commutateurs sont dans . Soit et dans . On a où la première égalité provient encore du lemme 3.4.2 et la deuxième utilise l’hypothèse que est abélien.
Cette proposition explique en quel sens est le plus grand quotient abélien de . Comme d’habitude, cette propriété caractérise à unique isomorphisme près (comparer avec le corollaire 1.0.8 et la remarque 3.3.10). Ce qui est nouveau ici est que la construction de ne dépend d’aucune donnée auxiliaire (par exemple relation d’équivalence ou un sous-groupe distingué qui ne serait pas livré de série avec le groupe de départ). Le corollaire suivant montre que cette construction est fonctorielle, on peut aussi l’appliquer aux morphismes, de façons compatible avec la construction sur les groupes et la composition des morphismes.
Corollaire
3.4.5
Pour tout morphisme de groupes , il existe un unique morphisme qui fait commuter le diagramme suivant :
De plus et, pour tout morphisme , on a .
Preuve
▼
Pour obtenir , on applique la propriété universelle de au morphisme (en utilisant que est abélien).
Comme , l’unicité dans la propriété universelle assure que . Pour la formule de composition, on contemple le diagramme suivant
Comme les deux carrés commutent, le grand rectangle commute. L’unicité dans la propriété universelle appliquée à assure alors que .
Il existe un autre aspect de la compatibilité entre l’abélianisé et les morphismes. Pour tout groupe et tout groupe abélien , la proposition 3.4.4 fournit une bijection entre les ensembles de morphismes et , qui envoie sur dans un sens et précompose par la projection dans l’autre. Cette famille de bijections paramétrée par et se comporte bien vis à vis de la composition au départ ou à l’arrivée, au sens du lemme suivant.
Lemme
3.4.6
Naturalité de l’adjonction entre abélianisation et inclusion des groupes abéliens
Soit un morphisme de groupes et soit un morphismes de groupes abéliens. Pour tout ,
Preuve
▼
Par unicité dans la propriété universelle de appliquée à , il suffit de montrer la commutativité du diagramme de l’énoncé, c’est à dire de calculer, en regardant le diagramme, .
3.5 Monoïdes libres
Cette section présente notre premier exemple de construction d’objet libre. Cet exemple est de loin le plus simple, il sert d’échauffement mais aussi de construction intermédiaire en vue de la section suivante.
Définition
3.5.1
monoïde libre Soit un ensemble. Un monoïde libre sur est un monoïde muni d’une fonction qui vérifie la propriété universelle suivante : pour tout monoïde et toute fonction de dans , il existe un unique morphisme tel que .
Définition
3.5.3
Étant donné un ensemble , un mot sur est une suite finie d’éléments de . On autorise le cas correspondant à une suite vide notée . La longueur d’un tel mot est l’entier naturel . L’ensemble des mots sur est noté . On le munit de l’opération de concaténation qui envoie sur de longueur . On note l’application de dans qui envoie sur .
En pratique l’application est le plus souvent implicite et on note donc le mot .
Proposition
3.5.4
Pour tout ensemble , l’ensemble des mots muni de la concaténation et du mot vide est un monoïde. Muni de , il s’agit d’un monoïde libre sur .
Comme d’habitude, la propriété universelle des monoïdes libres assure que est l’unique monoïde libre sur modulo unique isomorphisme, on l’appelle souvent le monoïde libre sur .
Preuve
▼
La vérification des axiomes de monoïdes est immédiate, il s’agit donc de démontrer la propriété universelle qui définit les monoïdes libres. Soit un monoïde et une application. L’unicité de est claire car, pour tout mot ,
Il s’agit donc de montrer que l’application définie par la formule ci-dessus est bien un morphisme de monoïde. Les deux vérifications sont immédiates.
3.6 Groupes libres
Définition
3.6.1
groupe libre Soit un ensemble. Un groupe libre sur est un groupe muni d’une application qui vérifie la propriété universelle suivante : pour tout groupe et toute fonction de dans , il existe un unique morphisme de groupes tel que .
Modulo les notations, il s’agit exactement de la même définition que la définition 3.5.1 dans laquelle on a remplacé le mot monoïde par le mot groupe.
L’existence d’un groupe libre sur n’importe quel ensemble est nettement moins évident que dans le cas des monoïdes. La construction a une saveur très informatique, avec l’apparition de notions de mots comme dans la section précédente mais aussi celle de réécriture. On verra dans la section suivante que cette construction débouche rapidement sur des problèmes algorithmiques difficiles.
Pour tout ensemble on note l’ensemble , on identifie chaque avec et on définit une fonction inversion de dans lui-même par . On étend l’opérateur d’inversion à l’ensemble des mots sur en envoyant le mot vide sur lui-même et tout sur . On dit qu’un mot admet une réduction en position si et . L’opération de réduction élémentaire associée envoie sur le mot de longueur obtenu en retirant et de . Un mot est une réduction d’un mot s’il existe une suite, nécessairement finie, de réductions élémentaire menant de à . Un mot est réduit s’il n’admet aucune réduction. Par exemple le mot vide est réduit et, pour , le mot est réduit tandis que ne l’est pas. On note l’ensemble des mots réduits sur .
Soit un groupe et une fonction. On « étend » à en envoyant sur . La propriété universelle de étend cette fonction en morphisme de monoïdes . Les éléments de l’image de sont appelés mots en les éléments de dans .
Proposition
3.6.3
Soit un ensemble, un groupe et une fonction. La paire est un groupe libre sur si et seulement si restreinte à est une bijection. Autrement dit, tout élément de s’écrit de façon unique comme mot réduit en les éléments de .
Preuve
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Supposons que est un groupe libre sur . On commence par démontrer que engendre . On pose . On note que vérifie aussi la propriété universelle des groupes libres sur . En effet, pour tout groupe et toute fonction , la propriété universelle pour fournit un morphisme qu’on peut restreindre à . L’unicité fonctionne aussi car la contrainte sur et le fait que est un morphisme impose les valeurs sur .
Ainsi et le lemme 3.1.13 assure que tout élément de est dans l’image . Après simplifications, on obtient une écriture comme mot réduit. Il reste à montrer l’unicité de cette écriture. On considère la fonction de dans qui envoie sur
il s’agit bien d’une bijection de car elle admet pour inverse
La propriété universelle de étend en morphisme . Pour tout mot réduit , envoie le mot vide sur , en effet est un morphisme et . Ainsi on retrouve l’écriture en mot réduit de qui est donc unique.
Réciproquement supposons que la restriction de à est une bijection. Soit un groupe et une fonction de dans . On étend en en envoyant sur . On pose , où provient de la propriété universelle de . Cette fonction de dans vérifie par construction. Il reste à montrer qu’il s’agit d’un morphisme. Ce n’est pas évident car n’est pas un sous-monoïde de : la concaténation de deux mots réduits n’est pas forcément réduite. Soit et dans . Soient et les mots en qui représentent et respectivement.
Montrons que par récurrence sur . Si alors et l’égalité est claire. Supposons le résultat connu pour les mots de longueur et supposons . On écrit pour et . On pose . Si alors où et on calcule
Notons qu’on n’affirme pas que est réduit (c’est faux en général) et que la simplification de la première ligne a lieu dans tandis que la complexification de la troisième ligne a lieu dans . Si au contraire la dernière lettre de n’est pas l’inverse de la première lettre de alors est réduit et l’égalité visée est évidente.
Le lemme fondamental qui fait fonctionner toute la construction des groupes libres est le résultat suivant.
Lemme
3.6.4
Soit un ensemble. Pour tout mot , il existe un unique mot réduit obtenu par réduction de .
L’unicité n’est pas claire car peut admettre plusieurs réductions et la provenance des lettres survivantes après réduction n’est pas unique Par exemple, si , on peut réduire en éliminant les deux premières lettres, la troisième survivant ou bien on peut réduire en éliminant les deux dernières lettres, la première survivant. Dans les deux cas on trouve comme mot réduit .
Preuve
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L’existence est claire car chaque réduction diminue strictement la longueur de et que le mot vide est réduit. Montrons l’unicité par récurrence forte sur . Si alors qui est réduit. Supposons le résultat connu pour tous les mots de longueur strictement plus petite que . Soit et deux suites de réductions élémentaires aboutissant à des mots et réduits (ici les exposant ne sont pas des puissances mais une simple numérotation mise en exposant pour éviter une confusion avec l’énumération des lettres de chaque mot). Il a deux cas à considérer. Si les réductions de à et se recouvrent alors et on conclut directement par hypothèse de récurrence. En effet la situation est soit le cas trivial où c’est la même réduction soit pour un certain où une des réduction élimine et l’autre élimine . L’autre cas est celui de réductions disjointes. On a alors pour des mots , et (éventuellement vides), et et dans et et dont obtenus en réduisant une des deux paires. Dans ce cas et admettent la réduction élémentaire commune . On utilise ensuite l’existence pour réduire en . Par hypothèse de récurrence appliquée à et , . Par hypothèse de récurrence appliquée à et , . Ainsi , ce qu’on voulait démontrer.
Le lemme ci-dessus permet de définir une loi de composition interne sur : la concaténation suivie de la réduction. Le mot vide est clairement neutre pour cette opération. Par ailleurs l’inversion des mots préserve et on a une application qui envoie sur le mot .
Théorème
3.6.5
Pour tout ensemble , l’ensemble des mots réduits sur munis de la structure décrite ci-dessus forme un groupe libre sur .
Preuve
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Le seul axiome de groupe qui n’est pas évident est l’associativité, mais elle découle facilement du lemme 3.6.4. En effet pour tous mots réduits , et , les produits et sont tous deux des réductions de la concaténation de , et . Le fait que est libre sur découle immédiatement de la proposition 3.6.3.
Corollaire
3.6.6
Tout groupe est quotient d’un groupe libre. Si une partie engendre un groupe alors est un quotient de .
Preuve
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La première partie découle de la seconde puisque tout groupe est engendré par l’ensemble de tous ses éléments. Montrons la seconde partie. Soit un groupe et une partie génératrice de . La propriété universelle de appliquée à l’inclusion fournit un morphisme de groupe . On a donc est bien surjective.
Comme dans le cas de l’abélianisation, la propriété universelle qui définit les groupes libres assure la fonctorialité de la construction ci-dessus, au sens de la proposition suivante :
Proposition
3.6.7
Soit et des ensembles. Pour toute fonction , il existe une unique fonction telle que .
De plus et cette opération est compatible avec la composition : .
Pour tout groupe , la bijection est naturelle : pour toute fonction et tout morphisme , on a pour tout fonction , .
Preuve
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C’est exactement la même démonstration que dans le cas de l’abélianisation. On définit comme . Comme , l’unicité dans la propriété universelle assure . La formule de composition découle de la commutativité de :
et de l’unicité dans la construction de . Pour la naturalité on contemple le diagramme suivant :
et la formule découle de l’unicité dans la propriété universelle de appliquée à .
La démonstration ci-dessus suit exactement celle des corollaires 3.4.5 et 3.4.6. Ce fait est étonnant car l’abélianisation d’un morphisme de groupes transforme un morphisme en morphisme entre des groupes plus petits tandis que la transformation d’une fonction en morphismes de groupes libres est une extension à des objets bien plus gros (par exemple est infini dès que n’est pas vide). Ces deux opérations peuvent se traiter exactement de la même façon car les propriétés universelles correspondantes ont exactement la même forme abstraite. Bien sûr on peut aussi expliciter et démontrer à la main la formule de composition, mais on perd alors le parallèle formel (et la possibilité de trouver l’énoncé abstrait qui englobe les deux cas).
Théorème
3.6.8
Soit et deux ensembles finis. Les groupes et sont isomorphes si et seulement si et ont le même cardinal.
Preuve
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Supposons d’abord que et ont même cardinal. On obtient alors une bijection puis, par la proposition précédente, des morphismes et tels que et de même donc est un isomorphisme.
Réciproquement, supposons qu’il existe un isomorphisme . La précomposition par fournit une bijection entre les ensembles de morphismes de groupes et . Or les propriétés universelles de et respectivement mettent en bijection ces ensembles avec les ensembles de fonctions de dans et de dans qui sont de cardinaux et respectivement. Ainsi et, comme et sont finis, on conclut que .
Le théorème précédent reste vrai si et sont infinis mais la démonstration est plus compliquée. La démonstration précédente fonctionne jusqu’à l’égalité mais le passage à est indépendant des axiomes usuels de la théorie des ensembles (même en y ajoutant l’hypothèse du continu, il faut ajouter une hypothèse du continu généralisée). Pour contourner ce problème on peut se ramener au cas des groupes abéliens libres (discuté dans le chapitre 5) puis au théorème de la dimension (à condition de disposer de celui-ci en dimension infinie).
Au vu de ce théorème, on pourrait imaginer que si s’injecte comme sous-groupe de alors (la réciproque est claire). Mais ce n’est pas du tout ce qui se passe.
Proposition
3.6.9
Soit un ensemble à deux éléments. Il existe un morphisme injectif de dans . En particulier contient des sous-groupes isomorphes à pour tout .
Preuve
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On note et les deux éléments de . On définit par . Montrons que le morphisme correspondant à est injectif. Soit un élément de écrit comme mot réduit non vide, avec chaque dans . On veut montrer . Montrons par récurrence sur qu’on peut écrire sous la forme où , les et les sont dans et non nuls, et est du signe de . Ce résultat est plus fort que . Pour le résultat est clair. Supposons-le jusqu’à . On a alors par hypothèse de récurrence
avec du signe de . Le mot de départ était réduit donc il y a deux possibilités. Si on a :
qui est bien de la forme annoncée car . Sinon, mais . Dans ce cas
et est du même signe que donc du même signe que . Ainsi n’est pas nul et est du même signe que .
3.7 Présentations de groupes
Définition
3.7.1
Soit un ensemble et une partie de . Le groupe défini par l’ensemble de générateurs et l’ensemble de relation est le quotient . On le note .
Lorsque et sont finis et explicite on utilise cette notation en listant les éléments de et de sans les entourer d’accolades. Lorsqu’un groupe est déjà connu par ailleurs et muni d’une famille génératrice , on dit aussi que est une présentation de si est le noyau de l’application de dans induite par l’inclusion de dans (comme dans la démonstration du corollaire 3.6.6). Par extension on appelle aussi présentation d’un groupe toute paire telle que est isomorphe à . On dit qu’un groupe est de type fini s’il admet une famille génératrice finie et de présentation finie s’il admet une présentation où et sont tous deux finis.
On notera que s’envoie dans en composant et la projection de sur . En pratique la composée de ces deux applications est presque toujours implicite quand on l’applique à un élément : on utilise le même symbole pour un élément de et son image.
Proposition
3.7.3
Propriété universelle des présentations de groupes
présentation de groupe Soit un ensemble et une partie de . L’application vérifie que, pour tout dans , (on dit que est compatible avec ). De plus l’image de engendre .
Soit un groupe et une application de dans . Si est compatible avec alors il existe un unique morphisme qui fait commuter
Le morphisme est surjectif si et seulement si engendre .
Preuve
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Soit dans . On a
On sait déjà que engendre . Comme la projection de sur est surjective, engendre .
Soit un groupe et une application compatible avec . On a le diagramme suivant :
L’existence faisant commuter le triangle du haut découle directement de la propriété universelle de appliquée à , il n’y a aucune condition à vérifier. L’existence de faisant commuter le triangle du bas provient de la propriété universelle des groupes quotients, il suffit de vérifier que , ce qui est précisément la condition de compatibilité imposée.
Il reste à expliquer comment les unicités des deux propriétés universelles invoquées se composent pour donner l’unicité voulue ici. Supposons que convient aussi. On a alors donc et l’unicité dans la propriété universelle de assure que . L’unicité dans la propriété universelle du quotient assure ensuite que .
Enfin on a , ce qui démontre le critère de surjectivité.
Corollaire
3.7.5
Soit et des ensembles, une partie de et une partie de . Pour tout fonction , si alors il existe un unique morphisme de groupe qui fait commuter le digramme
Preuve
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On applique la propriété universelle de à , en utilisant que envoie sur . □