Topologie différentielle

9.3 Dualité de Poincaré

La dualité de Poincaré est une symétrie fondamentale de la cohomologie d'une variété orientable sans bord. Pour la décrire on a besoin d'un petit rappel d'algèbre linéaire. Soit une forme bilinéaire entre -espaces vectoriels. Elle induit une application linéaire de dans , envoyant sur et de dans envoyant sur . On rappelle que est dite non dégénérée si ces deux applications sont injectives. On a alors et . Si et sont de dimension finie (comme dans la conclusion du théorème 9.6 par exemple) alors , et les applications ci-dessus sont des isomorphismes de vers et de vers respectivement.

On peut maintenant énoncer le théorème. Il sera démontré à la fin de la section, après en avoir discuté quelques applications immédiates.

Soit une variété de dimension , de type fini, orientée et sans bord. La forme bilinéaire sur qui envoie sur est non dégénérée. Ainsi elle induit des isomorphismes et . En particulier, si est compacte, pour tout .

L'image d'une classe par un des isomorphismes du théorème est appelée son dual de Poincaré.

En appliquant le théorème à une variété connexe avec pour la fonction valant 1 partout, on obtient que, pour connexe, l'intégration sur toute entière induit un isomorphisme . Dit autrement, est une droite et possède un vecteur directeur canonique, la classe de cohomologie de n'importe quelle forme vérifiant . Dit encore autrement, deux formes de degré maximal sur sont cohomologues si et seulement si elles ont même intégrale sur .

Soit une sous-variété orientée compacte sans bord dans une variété orienté . On note la dimension de et celle de . La formule de Stokes assure que l'intégration sur , qui est une forme linéaire sur , induit une forme linéaire sur . En effet toute forme exacte est d'intégrale nulle sur . Le théorème de dualité de Poincaré ci-dessus fournit alors une classe de cohomologie dans appelée dual de Poincaré de . En déroulant les définitions, on voit que est caractérisée par l'égalité

é

À ce stade on peut dire que la passage de à est légèrement mystérieux et que ce mystère n'est pas vraiment levé par la démonstration du théorème 9.8. Ce problème sera attaqué en toute généralité dans le chapitre suivant. En attendant on peut appliquer cette construction au cas où est un point, orienté positivement. On note la classe obtenue dans , c'est le générateur canonique trouvé précédemment ( étant supposée connexe). En effet une -forme fermée est une fonction constante et la caractérisation devient . Cela équivaut à puisque est constante.

Théorème 9.9
Soit une application entre variétés connexes, compactes, sans bord, orientées et de même dimension. Soit et des points de et respectivement. Le degré de est caractérisé cohomologiquement par
Plus concrètement, pour toute forme de degré maximal sur et vérifiant , on a

Démonstration

L'équivalence entre les deux formulations a déjà été expliquée avant l'énoncé, ainsi que le fait que toutes les formes sur d'intégrale sont cohomologues.

Soit une valeur régulière de , fournie par le théorème de Sard (théorème 4.5). L'image réciproque de par est une collection finie de points , …, . En chaque , la dérivée est un isomorphisme entre et et la contribution de au degré de est selon que cet isomorphisme préserve l'orientation ou la renverse. Le rang de reste maximal sur un voisinage ouvert de . Le théorème d'inversion local montre que, quitte à rétrécir , est un difféomorphisme de sur . Quitte à rétrécir encore un peu, on peut supposer les connexes et deux à deux disjoints. On choisit alors une forme à support compact dans l'intersection des et d'intégrale et on calcule :

où le signe provient de la contrainte d'orientation dans la formule de changement de variable.

Démonstration du théorème 9.8

On remarque que le théorème de finitude (théorème 9.6) s'applique ici, donc la non dégénérescence de la forme bilinéaire de Poincaré est équivalente aux isomorphismes annoncés. Dans la démonstration on utilise la formulation en terme des applications qui envoient sur .

On montre le théorème par récurrence sur le nombre de cartes d'un bon recouvrement. L'initialisation est assurée par les corollaires 7.9 et 8.8 calculant les cohomologie et cohomologie à support compact de .

Comme dans la démonstration du théorème de finitude, l'étape de récurrence repose sur les suites longues de Mayer-Vietoris mais cette fois on applique les deux variantes simultanément. Pour cela il faut s'affranchir d'un souci de signe mineur. On considère l'opérateur allant de dans . Comme le suggère la notation, la différence avec est minime. Le nouvel opérateur a même image et même noyau que , il définit donc la même cohomologie. On peut vérifier aussi (même si c'est inutile) que la suite de Mayer-Vietoris pour ne diffère de celle de que par un signe dans le connectant. L'avantage de est que le diagramme

Commutative diagram
devient un morphisme de suites exactes courtes, où chaque est un complexe ayant comme différentielle la transposée de pour chaque ouvert . En effet, on a :

et

donc la différence entre les deux vaut

en utilisant la formule de Stokes appliquée à une grande boule fermée dans et le fait que est à support compact dans donc il n'y a pas de terme de bord.

La naturalité dans le théorème 8.1 fournit un morphisme de suites exactes longues entre la suite de Mayer Vietoris ordinaire et la suite duale de la suite de Mayer-Vietoris à support compact. Dans ce morphisme de suites, deux flèches sur trois sont des isomorphismes par hypothèse de récurrence et on conclut par le lemme des cinq.