Topologie différentielle

9.2 Variétés de type fini

Un bon recouvrement d'une variété est un recouvrement par des ouverts dont toute intersection non vide est difféomorphe à (en fait contractile suffirait mais difféomorphe à vient naturellement dans la construction ci-dessous). Une variété est de type fini si elle admet un bon recouvrement fini.

Théorème 9.2
Toute variété compacte admet un bon recouvrement fini par des ouverts arbitrairement petits.

Ce théorème est localement évident puisque tout point d'une variété admet un voisinage difféomorphe à , qui a un bon recouvrement. Mais il n'est pas évident de passer au résultat global. La démonstration qu'on va présenter repose sur le premier résultat global démontré dans ce cours : le théorème de plongement de Whitney (sans borne sur la dimension). Mais il y a aussi un ingrédient de nature géométrique (par opposition aux arguments purement topologiques) : le résultat de calcul différentiel élémentaire suivant.

Lemme 9.3
Soit un difféomorphisme entre ouverts de tel que les normes , et soient bornées par un nombre . Il existe un rayon tel que l'image par d'une boule euclidienne de rayon soit convexe. En fait on peut choisir (mais l'important est que ce rayon ne dépende que de ).

Démonstration
On note l'ouvert source de et son image. On note l'inverse de . On fixe dans et on observe que
envoie sur . Il suffit de montrer que est strictement convexe sur l'image d'une petite boule. On calcule sa hessienne :
Or
et par le théorème des accroissements finis donc, en posant ,
qui est bien strictement positif pour non nul tant que est à distance au plus de . Or le théorème des accroissements finis montre que est inclus dans dès que est inférieur à .

On aura aussi besoin d'un résultat classique de topologie, le lemme de recouvrement de Lebesgue (qui n'a rien à voir avec sa construction d'une théorie de l'intégration).

Lemme 9.4
Soit un espace métrique compact. Pour tout recouvrement de par des ouverts, il existe tel que toute boule de rayon inférieur à est contenue dans l'un des .

Dans le contexte de l'énoncé ci-dessus, on dit que est un nombre de Lebesgue du recouvrement par les . La conclusion implique bien sûr que toute partie de diamètre inférieur à est incluse dans l'un des .

Démonstration
Par compacité de , on peut extraire des un sous-recouvrement fini et oublier le reste. On note le fermé complémentaire de et le nombre d'ouverts du recouvrement. On définit sur la fonction envoyant sur (moyenne des distances aux ). Il s'agit d'une fonction continue donc, par compacité de , elle atteint son inf en un certain point . Comme est dans l'un au moins des , . Ce convient car, pour tout point , la moyenne des distances aux vaut au moins donc l'une au moins de ces distances vaut au moins , ce qui signifie exactement que l'ouvert correspondant contient .

Démonstration du théorème 9.2

Soit une variété compacte. D'après le théorème 3.3, il est loisible de supposer que est une sous-variété d'un espace euclidien . Soit un atlas de sous-variété pour . Chaque est un difféomorphisme sur son image et pour un sous-espace vectoriel de dimension . Par compacité de , on peut supposer cet atlas fini et, quitte à réduire les sans qu'ils cessent de recouvrir , on peut supposer que les sont relativement compacts et que toutes les normes des différentielles premières et secondes des et leurs inverses sont bornées par une certaine constante . Soit un rayon strictement positif inférieur au rayon fourni par le lemme de convexité 9.3 et qui est un nombre de Lebesgue du recouvrement de la réunion des adhérences par les , fourni par le lemme 9.4.

Pour tout dans , on pose , la boule utilisée étant une boule euclidienne de l'espace ambiant . Montrons que la famille des forme un bon recouvrement (dont on peut ensuite extraire un bon recouvrement fini par compacité de ). Soit des points de . On note pour alléger l'écriture. Supposons non vide l'intersection . Par inégalité triangulaire, tous les sont dans la boule . Cette dernière est dans l'un des ouverts de carte . On a :

donc est un ouvert convexe non vide dans , donc .

Avec le théorème 9.2, on peut obtenir des ouverts suffisamment petits pour être contenus dans des ouverts de trivialisation locale de n'importe quel fibré. Ainsi un fibré à fibres de type fini au-dessus d'une variété de type fini est de type fini. En particulier cela démontre le corollaire suivant.

Corollaire 9.5
Tout fibré vectoriel au-dessus d'une variété compacte est de type fini.

Comme promis, l'existence d'un recouvrement combinatoire permet d'obtenir des résultats de structure de la cohomologie de de Rham. Le plus grossier, mais néanmoins fondamental est le théorème de finitude suivant.

Théorème 9.6
La cohomologie de de Rham et la cohomologie de de Rham à support compact d'une variété de type finie est de dimension finie. En particulier cela vaut pour les variétés compactes.

Ce résultat n'a rien d'évident puisque les espaces de formes différentielles fermées ou exactes sont de dimension infinie dans tous les cas (sauf si la variété étudiée est de dimension zéro…). Avant de démontrer ce théorème, on a en extrait des invariants numériques des variétés qui ont précédé historiquement toute théorie homologique ou cohomologique.

Définition 9.7
Le -ème nombre de Betti d'une variété de type fini est la dimension de . Le nombre de Betti total est la somme des nombres de Betti .

Démonstration du théorème 9.6

On explique le cas de la cohomologie de de Rham, sans condition de support, le cas du support compact étant complètement analogue, en utilisant le théorème 8.6 en lieu et place du théorème 8.4 (ce sont les deux variantes de la suite exacte de Mayer-Vietoris).

On déjà vu dans le corollaire 7.9 que la cohomologie de de Rham de est de dimension finie. C'est donc le cas de tous les ouverts et intersections d'ouverts d'un bon recouvrement d'une variété de type fini. On démontre le théorème par récurrence sur le nombre d'ouverts d'un bon recouvrement. Le cas d'un seul ouvert est celui de . Supposons donc le théorème acquis jusqu'à ouverts. Soit une variété ayant un bon recouvrement par ouverts . On pose et . On remarque que a un bon recouvrement par un ouvert, a un bon recouvrement par ouverts et que aussi, les ouverts étant les . Or la suite exacte longue de Mayer-Vietoris contient pour tout

Commutative diagram
où les premier et troisième termes sont de dimension finie par hypothèse de récurrence. Donc , qui est isomorphe à , est de dimension finie. De plus est égal à donc de dimension finie.