Topologie différentielle

7.2 Cohomologie de de Rham

On a vu que la dérivée extérieure envoie les -formes sur les -formes et que son carré est nul. On peut donc poser la définition suivante.

Définition 7.3
La cohomologie de de Rham d'une variété est la cohomologie du complexe , muni de la dérivée extérieure.

La formule de naturalité, , montre que toute application entre variétés induit un morphisme de complexes de de Rham , et donc un morphisme entre cohomologies de de Rham . Ces morphismes sont compatibles avec la composition des applications entre variétés, mais en renversant l'ordre de composition. Ainsi chaque est un foncteur de dans . En particulier tout difféomorphisme induit un isomorphisme en cohomologie de de Rham.

Le théorème suivant est important à plus d'un titre. Tout d'abord il permet d'étendre la fonctorialité de la cohomologie de de Rham aux applications continues. Pour cela, comme d'habitude, on veut utiliser l'existence d'homotopies de lissage et une propriété d'invariance par homotopie. Ensuite, cette invariance par homotopie montre que les difféomorphismes sont très loin d'être les seules applications à induire un isomorphisme en cohomologie de de Rham. La définition suivante est fondamentale en topologie algébrique.

Définition 7.4
Une application continue entre deux espaces topologique et est une équivalence d'homotopie s'il existe une application continue de dans telle que est homotope à et est homotope à .

Théorème 7.5
Si sont homotopes alors les morphismes qu'elles induisent entre les complexes de de Rham le sont aussi. Ainsi et induisent la même application en cohomologie. En particulier, toute équivalence d'homotopie induit un isomorphisme en cohomologie.

La démonstration de ce théorème passe par l'étude des formes différentielles sur un produit . Toute -forme sur s'écrit de façon unique où chaque est une -forme sur et chaque est une -forme sur . Cette écriture est un abus de notations traditionnel (et bien commode). On devrait plutôt écrire avec et , où est la projection de sur et l'inclusion envoyant sur .

Pour toute -forme sur , on a:
Démonstration
Notons la dérivée extérieure de et celle de afin d'éviter toute confusion. On vérifie, par exemple à l'aide de la formule en coordonnées de la proposition 6.14, que désigne la dérivée de (qui va de dans l'espace vectoriel donc il n'y a aucune difficulté à définir cette dérivée comme application entre les mêmes espaces ni à l'intégrer pour obtenir la variation ). À l'aide de cette formule appliquée aux familles et et à l'aide de la formule de Leibniz graduée, on obtient
En prenant le produit intérieur avec , les termes provenant de disparaissent tandis que donc la formule précédente devient . Or donc on obtient . En intégrant cette formule il vient . De plus la dérivée commute à l'intégration par rapport à car toutes les fonctions intégrées sont lisses. On obtient alors la formule annoncée. Il n'y a pas de danger à remplacer par dans cette formule finale car ne dépend pas de et s'annule sur les vecteurs tangents au facteur .

Démonstration du théorème 7.5
Soit une homotopie entre et . Le théorème d'approximation (théorème 3.5) permet de supposer que est lisse (sans changer ni ). Pour toute forme différentielle sur , on applique alors le lemme d'homotopie énoncé ci-dessus à pour laquelle et  :
On obtient ainsi un opérateur défini par :
qui envoie les -formes sur les -formes (on dit que est de degré ) et vérifie , c'est-à-dire que est une homotopie entre les morphismes de complexes et . On conclut donc par le lemme 7.2.

Définition 7.7
Soit un espace topologique, une partie de et l'inclusion de dans . Une rétraction de sur est une application continue qui « vaut l'identité sur  ». Plus précisément, elle vérifie . Une rétraction par déformation est une rétraction « homotope à l'identité de relativement à  ». Plus précisément, est homotope à l'identité parmi les applications vérifiant . Un espace topologique est contractile s'il se rétracte par déformation sur un point.

Il faut prendre garde à l'existence de variations de terminologie concernant les rétractions par déformation. Certains auteurs ne demandent pas que l'homotopie soit relative à (condition « parmi les applications… ») et appellent rétractions par déformation forte nos rétractions par déformation. La définition faible suffit pour assurer la première partie du lemme ci-dessous mais pas la seconde. Dans ce cours ces subtilités n'interviendront jamais car les rétractions par déformation rencontrées seront évidemment fortes. De plus la terminologie adoptée ici est compatible avec l'excellent livre de topologie algébrique d'Allen Hatcher, ce qui clot le débat.

Corollaire 7.8
Soit une variété et une sous-variété de . On note l'inclusion de dans . S'il existe une rétraction par déformation alors et induisent en cohomologie des isomorphismes inverses l'un de l'autre. De plus toute forme fermée sur dont la restriction à est nulle admet une primitive dont la restriction à est nulle.

Démonstration

Puisque , on a . Le théorème d'invariance par homotopie (théorème 7.5) assure que , ce qu'on réécrit . On a donc démontré la première partie, sans rien demander de spécifique à l'homotopie entre et .

Pour la deuxième partie il faut reprendre la démonstration du théorème à l'aide du lemme d'homotopie. Soit une homotopie entre et . Soit une forme fermée sur . Comme dans la démonstration du théorème, on applique le lemme 7.6 à . On obtient :

Si on obtient bien une primitive de . De plus, en tout point de ,

Or pour tout de donc . Ainsi on intègre l'élément nul de et le résultat est nul. A fortiori sa restriction à est nulle.

L'exemple le plus important d'espace contractile est , qui se rétracte sur l'origine par . Comme homotopie entre et l'identité on peut choisir . Plus généralement, un sous-ensemble étoilé d'un espace affine est contractile. Il est aisé de calculer la cohomologie de de Rham d'un point : elle est isomorphe à en degré zéro car le point est connexe et triviale en tout degré strictement positif car le point n'a pas de forme différentielle de degré strictement positif. On obtient donc le corollaire suivant.

Corollaire 7.9
La cohomologie de de Rham d'un espace affine est nulle sauf en degré zéro où elle est isomorphe à .

Puisque tout point d'une variété possède un voisinage difféomorphe à , on obtient le résultat promis dans l'introduction de ce chapitre : toute forme fermée (de degré au moins un) est localement exacte. On remarque que la démonstration de ce fait est constructive. En effet, la forme explicite de la rétraction par déformation de sur un point, le lemme d'homotopie et la démonstration du corollaire donnent une primitive explicite à toute forme fermée sur .

On conclut cette section en remarquant que la cohomologie de de Rham est en fait une algèbre commutative graduée et pas seulement un espace vectoriel gradué. Un espace vectoriel gradué est simplement un espace vectoriel décomposé en somme directe indexée par des entiers (ici les degrés). Dans le contexte d'une algèbre, ce mot fait en plus référence à la commutativité au sens gradué : .

Proposition 7.10
Le produit extérieur des formes différentielles induit un produit en cohomologie de de Rham qui en fait une algèbre commutative graduée.

Démonstration
La formule de la proposition 6.19 montre qu'un produit extérieur de formes fermées est fermé. Elle montre aussi que le produit extérieur d'une forme fermée et d'une forme exacte est exact car, si , la formule devient donc le produit de avec la forme exacte est exact.