Topologie différentielle

2.2 Foncteur tangent

Dans cette section, on construit comme promis le fibré tangent d'une variété , un fibré vectoriel au-dessus de permettant de parler de dérivée d'une application de dans comme famille lisse d'applications linéaires . La construction se fait en deux temps. D'abord on définit pour chaque variété et chaque dans un ensemble . On définit aussi pour toute application entre deux variétés et des applications . Toutes ces définitions ne nécessitent aucun choix auxiliaire et sont fonctorielles : la formule est évidente par construction. Dans un deuxième temps on démontre qu'il existe une unique façon de munir , la réunion disjointe pour parcourant des , d'une structure de fibré vectoriel de sorte que les se rassemblent en application de dans et que les soient linéaires pour la structure d'espace vectorielle sur induite par la structure de fibré vectoriel.

Soit une variété et un point de . On note l'ensemble des courbes lisses passant par à  :

Toute application lisse entre deux variété et induit, pour chaque de , l'application de vers qui envoie sur .

On dit que deux éléments et de ont même vitesse en s'il existe une carte dont le domaine contient et pour laquelle . Le théorème de dérivation des fonctions composées montre que cette propriété est indépendante du choix de la carte . Le même théorème montre que cette relation est préservée par pour toute application . Détaillons pas exemple ce dernier point. Si et sont deux courbes équivalentes dans alors, par définition, il existe une carte telle que et ont même vitesse à . On considère ensuite une carte dont le domaine contient . On veut montrer que et sont équivalentes. On écrit et . Par définition de la lissité de , l'application est lisse de dans . Ainsi l'égalité de vitesses suppposée entraîne bien celle voulue.

Définition 2.5
L'espace tangent d'une variété est un point est le quotient par la relation d'équivalence « avoir la même vitesse à » de l'ensemble des courbes lisses passant par à . Le fibré tangent de est la réunion disjointe des pour tous les points de .

Définition 2.6
L'application tangente à en un point est l'application de vers induite par . L'application correspondante de dans est notée , ou parfois ou .

L'inusable théorème de dérivation des fonctions composées est alors promu en :

On dit que est un foncteur : il transforme à la fois les objets que sont les variétés et les morphismes que sont les applications lisses entre variétés, d'une façon compatible avec la composition des morphismes.

Exemple 2.7
Soit un espace affine de direction . L'application de dans qui envoie sur induit un isomorphisme de sur . Cet isomorphisme est fonctoriel : pour toute application différentiable de dans , l'isomorphisme identifie à .

Démonstration
On fixe une base de l'espace vectoriel . On a ainsi un isomorphisme linéaire de dans . En fixant en plus un point de , on obtient une carte globale envoyant sur . Soit un point de et une courbe de . Alors a la même vitesse en zéro que si et seulement si . Ainsi l'application décrite dans l'énoncé est bijective. Il reste à vérifier ce que devient . Pour tout dans , est la classe d'équivalence de la courbe . Par ailleurs est la classe d'équivalence de . Les courbes et ont bien le même vecteur vitesse en zéro .

Théorème 2.8
Soit une variété de dimension . Il existe une unique structure de variété sur pour laquelle la projection évidente est un fibré vectoriel de rang et pour laquelle tous les sont des applications lisses et les sont linéaires, de rang .

On insiste sur le fait que le théorème précédent munit chaque espace tangent d'une structure d'espace vectoriel de dimension puisque est un fibré vectoriel de rang . L'exemple 2.7 montre que cette structure est celle attendue dans chaque carte de .

Démonstration

L'unicité est claire via la remarque 1.6 car .

L'existence est basée sur la méthode de recollement de la proposition 2.4. Partant d'un atlas et de ses changements de cartes , on considère les données de recollement de fibrés envoyant sur . La relation de cocycle pour les découle immédiatement de celle vérifiée par les et de la formule de dérivée des fonctions composées. L'exemple 2.7 montre que le fibré vectoriel ainsi obtenu est en bijection avec et vérifie les propriétés annoncées.

La démonstration précédente a construit la structure de fibré vectorielle sur en recollant les fibrés tangents des cartes d'un atlas quelconque de . On peut donc être tenté de progresser dans l'autre sens et de définir à partir d'un atlas comme recollement des fibrés tangents des cartes. Le danger est de se retrouver avec un fibré vectoriel qui ne dépend pas seulement de mais aussi d'un choix d'atlas (parmi ceux de la classe d'équivalence constituant la structure de variété de ). Il est aisé de montrer que les fibrés obtenus à partir de deux atlas équivalents sont isomorphes. Mais il est beaucoup moins agréable d'avoir une classe d'isomorphisme de fibrés qu'un fibré unique. En particulier la discussion de la fonctorialité (définition de et propriété ) devient cauchemardesque (ou laissée en exercice au lecteur). On peut réparer ces problèmes d'au moins deux manières. D'une part on peut appeler fibré tangent le quotient de la réunion disjointe de tous les fibrés construits (à partir de tous les atlas de la classe d'équivalence) par les isomorphismes construits. On peut aussi utiliser le représentant canonique de la classe d'équivalence d'atlas : l'atlas réunion de tous les atlas de la classe. Mais cet atlas est gigantesque et le fibré tangent ainsi construit n'est pas plus éclairant. Dans les deux cas on a perdu en route la simplicité apparente de l'idée de définir le fibré tangent par recollement des fibrés tangents des cartes.

La construction du fibré tangent permet de définir la notion de champ de vecteurs. Un champs de vecteurs sur une variété est une section de . Le théorème de Cauchy-Lipschitz à paramètres, appliqué dans des cartes, montre que, pour tout champ de vecteur , il existe une fonction et une application définie sur et vérifiant

On dit que est le flot de .

\includegraphics{images/flot}

Figure 2.3 Flot d'un champ de vecteurs